"Une armée victorieuse en rase campagne désarme les siens, les livre à l'ennemi pour un holocauste sans précédant dans l'Histoire"(°)
DES ACCORDS AMBIGUS N'OFFRANT AUCUNE GARANTIE REELLE
Les Déclarations gouvernementales relatives à l'Algérie dites Accords d'Evian, constituent l'aboutissement de négociations engagées secrètement en 1961 entre les représentants du gouvernement français et les représentants du FLN (Front de Libération Nationale), considéré comme seul interlocuteur valable. En effet, ne furent associés aux négociations ni les autres mouvements indépendantistes tels le MNA (Mouvement National Algérien) de Messali Hadj, ni les autres composantes de la population algérienne d'alors : les musulmans restés fidèles à la France et les Pieds-noirs.
Bien plus, alors que les musulmans engagés auprès de la France représentent plus d'un million de personnes sur les 7 millions de musulmans vivant en Algérie en 1962, le gouvernement français les a totalement ignorés dans le texte des accords eux-mêmes. Rien n'est prévu pour eux, aucune garantie, pas même formelle. Leur existence est purement et simplement niée, de sorte qu'ils deviennent ipso facto ressortissants algériens. La nationalité française avec les garanties qui s'y attachent leur est ainsi retirée malgré eux, ce qui est contraire à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme qui prévoit que "nul ne peut être privé de sa nationalité sans son consentement".
Ils devront, pour les rescapés parvenus en métropole, souscrire une déclaration recognitive de nationalité française, aux termes d'une ordonnance du 21 juillet 1962. "J'ai été témoin, relate André Wormser président du Conseil national pour les français-musulmans (1) de l'angoisse, de l'affolement nés de la rigueur de cette règle. Les tribunaux n'étaient pas au courant, réclamaient certains papier, se montraient tatillons... La France généreuse, la France terre d'asile, la France de la Marseillaise et du drapeau tricolore, à qui l'on avait si souvent fait rendre les honneurs s'était détournée avec indifférence et hostilité"...
Les Accords d'Evian sont par ailleurs aléatoires dans leur essence même, car il mettent en présence deux entités fondamentalement différentes : la France, Etat très anciennement constitué, et le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) déjà contesté par certains membres du FLN et censé représenter un Etat qui n'existe pas encore, et qui donc ne sera pas nécessairement tenu de respecter les engagements pris pour lui. Et qui ne les respectera pas. "Quelle garantie avons-nous que le futur Etat algérien entérinera les accords en vertu même de sa souveraineté ? Rien ne l'obligera à se tenir pour engagé par un traité qui lui aura préexisté", soulignait M. Lauriol député, devant l'assemblée nationale, le 26 mai 1962. (2)
Enfin, les garanties générales, notamment celles concernant la sécurité et la liberté des personnes, qui prévoient que :
" Nul ne peut être inquiété, recherché, poursuivi, condamné ni faire l'objet de décision pénale, de sanction disciplinaire ou de discrimination quelconque, en raison d'actes commis en relation avec les événements politiques survenus en Algérie avant le jour de la proclamation du cessez-le-feu".
"Sauf décision de justice tout algérien muni d'une carte d'identité est libre de circuler entre l'Algérie et la France"
sont des garanties purement illusoires, car assorties d'aucune sanction. Dès mai 1962, Maurice Allais dans son ouvrage "L'Algérie d'Evian" s'élève avec indignation contre le danger auquel sont ainsi exposés les musulmans fidèles à la France et les Pieds-noirs, en soutenant "que les accords d'Evian constituent tout au plus des déclarations d'intention, qu'ils sont dépourvus de toutes sanctions réellement contraignantes s'ils viennent à être violés, et que dès lors, tels qu'ils sont, ils sont absolument inacceptables". (3)
Et pourtant, en signant de tels accords, le gouvernement français ne pouvait ignorer les risques de représailles encourus par les harkis en Algérie. Il en avait été alerté, et de la façon la plus officielle, en novembre 1961, par les préfets d'Algérie, dans leurs réponses à un questionnaire du ministre d'Etat chargé des affaires algériennes Louis Joxe : "Les musulmans engagés à nos côtés ne seront pas protégés. La seule protection efficace pour eux sera le transfert en métropole ... Ils devront être informés du caractère relatif des garanties." Et le préfet d'Alger de préciser "Quels que soient les engagements de non représailles, quels que soient les dispositions prises en faveur de telle ou telle catégorie, les algériens attachés à la France devront être informés du caractère relatif des garanties qu'il leur seraient accordées s'ils restaient en Algérie et des difficultés pour la France d'en imposer l'application réelle " (4). Ainsi, cinq mois avant la signature des accords d'Evian, le gouvernement était clairement mis en garde sur le caractère illusoire des garanties susceptibles d'être accordées aux Harkis par le futur Etat algérien.
DES ACCORDS APPLIQUES STRICTEMENT PAR LA FRANCE MALGRE LEUR VIOLATION FLAGRANTE PAR L'ALGERIE
Les accords d'Evian seront appliqués à la lettre par le gouvernement français qui donnera des consignes strictes en ce sens aux autorités civiles et militaires françaises, alors même qu'ils sont violés délibérément par le nouveau pouvoir algérien. Dès le cessez-le-feu conclu, le 19 mars 1962, le lendemain de leur signature, le désengagement de la France, entamé au cours de l'année 1961, s'accélère. Sans plus attendre, les frontières sont ouvertes et les troupes de l'ALN (Armée de Libération Nationale) qui étaient basées en Tunisie et au Maroc pénètrent en Algérie, en nombre et en armes.
Dans le même temps, les harkas, les maghzen des SAS, les groupes d'autodéfense sont dissous, et les supplétifs sont démobilisés et désarmés par l'armée française. Souvent par surprise, ou par ruse.
" l'adjudant venu désarmer la harka, monte sur le capot de sa jeep et montre à bout de bras l'ordre reçu. Il le lit et le commente : - Je suis venu pour vous parler, pour vous expliquer...
Tandis qu'il pérore, fixant l'attention de la harka, on fonce dans les chambrées, vers les râteliers d'armes. Un harki malade est resté couché, on le maîtrise, on le bâillonne. Un coup de klaxon au loin donne le signal. Alors l'adjudant se tait, descend de sa jeep, tourne un peu la tête, regarde derrière lui à plusieurs reprises, puis annonce à voix basse : - maintenant c'est fini. La guerre est finie pour vous. Vous êtes désarmés et vous êtes libres.
En une seconde les rangs des harkis se sont disloqués. Ils réalisent, mais trop tard, la supercherie dont ils ont été victimes. On leur a volé, arraché leurs armes. Ultime trahison." (5)
Trois possibilités sont alors offertes aux harkis :
- un engagement dans l'armée française, solution qui implique l'abandon de leur famille, ce qui la rend inapplicable, la plupart des harkis étant mariés,
- le retour à la vie civile avec une prime de démobilisation,
- une période de réflexion de 6 mois, pendant lesquels les harkis sont renvoyés chez eux.
Le refus d'abandonner leur famille, la peur de l'exil, les promesses de paix du FLN dans les premières semaines qui suivent le cessez-le-feu, feront que la plupart des harkis retournent dans leurs villages. Où il se retrouvent isolés au sein d'une population souvent hostile, désarmés, à la merci de leur ennemi d'hier, sans protection de l'armée française.
Après une période de calme relatif, l'ALN (Armée de Libération Nationale) et surtout les combattants de la 25ème heure, les Marsiens, se livrent à toutes sortes d'exactions (6) - supplices, viols collectifs, enlèvements, enfermement dans des camps, massacres - pratiquées en masse et avec une cruauté inouïe. Seule l'armée française, encore nombreuse en Algérie aurait été en mesure de faire respecter les Accords d'Evian, et notamment les garanties concernant la sécurité des personnes. Mais elle reste consignée dans ses quartiers sur ordre du gouvernement français.
Quelques rapatriements sont assurés dans l'urgence, mais aucun plan général n'est organisé pour assurer le transfert en France des familles les plus menacées. Certains militaires, toutes armes confondues, et notamment des officiers de SAS (Sections Administratives Spécialisées) (7), qui ne peuvent se résoudre à bafouer leur parole et à abandonner leurs hommes à une mort atroce, décident de les acheminer clandestinement eux et leurs familles vers la métropole. Mais les pouvoirs publics français interviennent pour mettre fin à ces initiatives, et pour faire appliquer les Accords d'Evian envers et contre tout. Alors même qu'ils sont délibérément violés par l'Algérie. Et les ordres viennent du plus haut niveau : du ministre de l'Intérieur Roger Frey et du ministre d'Etat aux affaires algériennes Louis Joxe (8) : aucun secours ne doit être apporté aux harkis, aucun asile ne doit plus leur être accordé dans les enceintes militaires, les initiatives individuelles pour les secourir seront sanctionnées, les harkis débarqués clandestinement en métropole seront refoulés en Algérie. Ordres qui seront relayés par les officiers supérieurs de l'armée française avec la plus grande rigueur. C'est ainsi que :
- le général de Brebisson commandant supérieur des forces armées françaises en Algérie ordonne en août 1962 "de n'accorder asile aux supplétifs et aux personnes ayant aidé la France que dans des cas exceptionnels" et en novembre 1962 "de suspendre toute nouvelle admission dans les camps" et demande que " les enquêtes soient menées avec soin par la sécurité militaire. Tous les cas de rapatriements devront m'être soumis et la décision sera prise à mon échelon " (1)
- le colonel Buis, directeur de cabinet militaire du haut commissaire ordonne en mai 1962 aux officiers de "prescrire à tous les cadres de s'abstenir de toute initiative isolée destinée à provoquer l'installation des français-musulmans en métropole" (9) ;
- le général Katz, lors des massacres du 5 juillet 1962 à Oran, interdit à ses troupes cantonnées sur place, de porter secours aux pieds-noirs et aux musulmans pro-français, ce qui entraînera la mort ou la disparition de centaines d'entre eux ;
- le général Ducournau, commandant le corps d'armée de Constantine donne l'ordre, à la demande de l'ALN (Armée de Libération Nationale), de faire débarquer les harkis réfugiés sur un bateau s'apprêtant à partir pour la France, harkis qui furent massacrés à quelques mètres du navire d'où ils venaient d'être chassés par des soldats français... : "le Maghzen de la SAS des Beni Bechir, une dizaine de kms au sud de Philippeville a réussi à s'embarquer sur un navire s'apprêtant à appareiller en direction de la France. La quarantaine d'hommes qui le composent sait quel salut représente cet embarquement. Dans peu de temps, l'ancre sera levée et ils seront sauvés. Un capitaine de l'ALN a repéré les harkis. Il leur ordonne de débarquer, ce que, bien entendu, ils refusent. Il alerte le corps d'armée de Constantine commandé par le général Ducournau. Peu après, l'ordre tombe : "faites débarquer les harkis de Beni Bechir". Agrippés au bastingage, à tout ce qui se présente, les malheureux implorent les soldats français qui, à coups de crosse, les rejettent vers le quai. Peu après, tombés entre les mains de l'ALN, ils sont exécutés sur la place Marquet, à quelques centaines de mètres de ce navire dont l'armée française les a chassés" (2) Bien plus, certaines familles, parvenues en France seront renvoyées par les autorités françaises en Algérie où les attendait une mort horrible.
Quelques militaires cependant, sacrifiant leur carrière et leur avenir, refuseront d'obéir aux ordres de non intervention, par fidélité envers leurs hommes. Ou démissionneront. Ou se suicideront pour échapper au déshonneur. Mais dans sa grande majorité l'armée française appliquera les ordres de non intervention émanant du gouvernement. Lequel était parfaitement informé des risques encourus par les harkis puis de la gravité de la situation, et de la façon la plus officielle qui soit, par les fonctionnaires français encore en poste en Algérie. (4 et 6)
Ainsi le massacre des harkis était prévisible et prévu. Et connu. Cette volonté de la France d'appliquer les Accords d'Evian unilatéralement, cette volonté d'interdire à l'armée, encore nombreuse en Algérie, d'intervenir alors qu'elle seule aurait pu en garantir l'application, entraînera la disparition 150 000 harkis et 10 000 pieds-noirs qui seront suppliciés, massacrés, enlevés, enfermés dans des camps. Sans que le nul ne veuille s'inquiéter de leur sort.(10) http://justiceharkis.chez.com/ACCORDS.html
(1) Abd-El-Aziz Maliani " La France honteuse. Le drame des harkis"
Editions Perrin
(2) Pierre Montagnon "La guerre d'Algérie"
Editions Pygmalion cité par Jeune Pied-Noir "Le livre des harkis"
(3) Maurice Allais "L'Algérie d'Evian"
Réedité par Jeune Pied-Noir BP 4 91570 Bièvres
(4) Maurice Faivre "Les Archives inédites de la politique algérienne 1958-1962"
Réponses des préfets d'Algérie au questionnaire de Louis Joxe
Editions l'Harmattan
(5) Bernard Moinet "Ahmed ? connais pas..."
Editions Lettres du Monde
(6) Compte-rendu du sous-préfet d'Akbou
Rubrique Histoire : Documents
(7) Grégor Mathias " Les Sections Administratives Spécialisées entre idéal et réalité "
Rubrique Histoire : Documents
(8) Télégramme de Louis Joxe ministre d'Etat aux affaires algériennes
Rubrique Histoire : Documents
(9) Directive du colonel Buis
Rubrique Histoire : Documents
(10) Témoignages concernant les massacres, les enlèvements, les camps
Rubrique Histoire : Documents
(°) Pierre Montagnon
Retour au menu " Les accords d'Evian "
Mis en ligne le 24 janv 2011
|