Le dimanche 7 juillet 2013, dans le journal de 13 heures de France Inter http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=676492 (à partir de la minute 22) , le journaliste (fréderic Météseau) demande à Thomas Guénolé, politologue, de commenter la déclaration faite par Estrosi ce jour sur les gens du voyage.
Voici ce que déclare l'éminent consultant :

" C'est un fait que, culturellement, le racisme est quand même plus développé dans le Sud de la France. Cela s'explique en partie, faut dire les choses, par le fait qu'il y a une très forte communauté pied-noir, dans le sud de la France. J'suis en train de dire ça, je suppose que vous allez recevoir beaucoup de courrier. C'est malheureusement un constat. "

Nombreux sont les français d'algérie qui l'ont interpellé sur cet amalgame honteux.
Voici ses réponses :

" Le présentateur du journal m'a demandé pourquoi le racisme semblait plus présent dans le sud de la France. J'ai avancé comme élément d'explication la présence beaucoup plus forte des Pieds-Noirs dans cette partie du pays.
Si le journaliste m'avait invité à expliciter mon propos sur ce point, j'aurais signalé le constat historique à l'appui de cette analyse : à savoir que dans la vie politique française, le vote d'extrême droite est surreprésenté dans l'électorat pied-noir. "
Et encore :
" Le journaliste me demandait pourquoi le racisme est plus présent dans le sud de la France, j'ai avancé comme élément d'explication la plus forte présence de Pieds-Noirs dans cette partie du pays.
Pour autant, je n'ai pas dit une ânerie de type " Tous les Pieds-Noirs sont racistes " : ç'aurait été une pure sottise.
Si le journaliste m'avait invité à détailler mon propos sur ce point, j'aurais avancé le fait historique étayant l'analyse : le vote d'extrême droite est surreprésenté dans la communauté pied-noir, de même que l'hostilité de principe envers les Arabes.
Là encore, toujours pas de " Tous les Pieds-Noirs sont racistes ", car encore une fois, ç'aurait été dire une sottise. En effet les contre-exemples sont faciles à trouver : je pense ainsi à Albert Camus. "

Ses arguments de réponse sont tout de même un peu légers.
Les auditeurs, qu'ils soient PN ou non, sont capables de comprendre ce qui est clairement énoncé et sont en mesure d'appréhender les non dit quelques fois plus explicites que ce qui est exprimé en détail.
D'après lui, le racisme s'est développé dans le sud de la France et s'explique en partie parce que les Pieds-Noirs sont nombreux.
Donc, s'il n'y avait pas de Pieds-Noirs, le racisme ; notamment anti arabes, serait beaucoup moins élevé ; par conséquent les Pieds-Noirs sont racistes !
Peut être pas tous, mais une grande majorité...

Et comme cela n'a pas fait sursauter le présentateur (pourtant titulaire d'une licence d'histoire), d'ordinaire bien plus réactif lorsqu'il s'agit de stigmatiser une communauté, Monsieur Guénolé n'a pas jugé bon de développer.
Dans le cas contraire, il " aurait signalé le constat historique " pour appuyer son analyse. " à savoir que dans la vie politique française, le vote d'extrême droite est surreprésenté dans l'électorat pied-noir. " " de même que l'hostilité de principe envers les Arabes. "
Il a donc bien fait de ne pas préciser car il n'aurait fait qu'enfoncer le clou. La " sottise " qu'il s'obstine à nier est toutefois avérée par son pseudo constat historique.
Nous n'avons rien compris, nous sommes paranoïaques. Faudrait tout de même pas lui faire dire ce qu'il a dit sans le dire.
Faire appel à Camus comme alibi me fait penser à ce sketch de Coluche : " Et pour ce qui est du racisme... moi je suis pas raciste, hein ! J'ai même des disques de Sydney Bechet ! ". Que l'on pourrait transformer en : " Moi je ne suis pas anti Pieds-Noirs, j'ai même des livres d'Albert Camus ".
Pour de tels propos diffamatoires au sujet d'une autre minorité, la LICRA aurait pu lui faire connaître la douceur des prétoires. Mais à notre sujet, la LICRA est aux abonnés absents. Nous n'avons pas à nous sentir insultés, le " constat historique " le prouve. C'est viscéral !

Tout le monde l'a dit (1)

1. " - Ils ont une drôle d'allure, ces passagers en provenance d'Algérie ! " (l'Humanité du 6 janvier 1962)
" - Ne laissons pas les repliés d'Algérie devenir une réserve du fascisme. " (François Billoux député communiste-l'Humanité du 5 juin 1962)
- Guy Mollet, l'ancien président du Conseil, demande au gouvernement qu'on intègre les rapatriés au plus vite pour ne pas les voir grossir les rangs des formations fascistes.
- Louis JOXE au Conseil des Ministres du 18 juillet 1962 : " Les Pieds-Noirs vont inoculer le fascisme en France.... Dans beaucoup de cas, il n'est pas souhaitable qu'ils retournent en Algérie ni qu'ils s'installent en France où ils seraient une mauvaise graine. Il vaudrait mieux qu'ils s'installent en Argentine ou au Brésil ou en Australie. "
C'était la manière la plus commode de justifier l'exil d'un million de personnes voué à l'anathème construit et imposé sur des bases artificielles et qui ne saurait inspirer ni justice ni pitié.

Qu'il y ait proportionnellement un peu plus de PN qui votent FN que de métropolitains, n'implique pas que le racisme soit le moteur principal. D'autre part, si le vote FN est condamnable, anti républicain et nauséabond, il est urgent d'interdire ce parti ; sinon il faut cesser de vomir sur ses électeurs jugés potentiellement racistes.
Et si les PN sont estampillés " extrême droite ", il aurait suffit que les partis de gauche, d'extrême gauche et " gaulliste " leur témoignent un peu de compassion et moins d'ardeur à les combattre pour que cette tendance " nationaliste " disparaisse de leurs intentions de vote.

Plutôt que de s'appuyer sur une " constatation historique " illusoire, fabriquée de toutes pièces par des intellectuels et des politiques malfaisants ou d'idéologues sectaires utilisateurs de schémas mensongers ; il suffirait de se tourner vers l'Histoire pour découvrir que les PN votaient majoritairement à gauche avant 1954, puis fortement gaulliste à partir de 1958. Ce qui sans doute, n'est pas une référence, aux yeux de ce docte et éminent politologue, puisque ses amis politiques traitaient de facho " le plus illustre des français ".
http://exode1962.fr/exode1962/qui-etaient-ils/pn-politique.html

L'histoire ne semble pas faire partie du cursus de notre expert de référence que tout le monde s'arrache. Il lui aurait suffit, avec un peu de mesure, et d'honnêteté, de se référer aux études et sondages récents, même s'ils s'apparentent à des statistiques ethniques, interdites pour tout autre groupe humain, pour s'informer et réfléchir davantage avant de parler.
Car nous sommes bien d'accord pour une fois avec Monsieur le professeur Guénolé : " Tout ce qui est excessif est insignifiant "

Le vote des rapatriés d'Algérie et de leurs descendants se repartirait équitablement entre Marine Le Pen, François Hollande et Nicolas Sarkozy, au premier tour de la présidentielle, avec un léger avantage pour la candidate du FN, selon une enquête du Cevipof.

(Européennes : les listes UMP, PS et FN données à égalité Selon un sondage réalisé par l'Ifop, le FN égalerait en 2014 les deux partis de gouvernement à 21%, réalisant un bond de 15 points par rapport à 2009. Sondage IFOP.
http://www.lefigaro.fr/politique/2013/06/05/01002-20130605ARTFIG00382-europeennes-les-listes-ump-ps-et-fn-donnees-a-egalite.php (2)

2. Ce qui montre que l'ensemble des intentions de vote des français, ressemble à s'y méprendre à celles des PN.
Au premier tour, 28% des pieds-noirs et 24% de leurs descendants, voteraient pour la présidente du Front national, indique le Centre d'études de la vie politique. Ils seraient respectivement 26% (pieds-noirs) et 31% (descendants) à se prononcer pour François Hollande. Mais si 26% des pieds-noirs s'apprêteraient également à voter pour Nicolas Sarkozy au premier tour, les intentions de vote de leurs descendants en faveur du président-candidat plafonnent à 15%. Le " total des candidats centristes " recueillerait 9% du vote des rapatriés et 14% des voix de leurs descendants.

3,2 millions de votants

Cette étude du " vote pied-noir 50 ans après les accords d'Evian " se base sur un "cumul d'enquêtes d'intentions de vote" réalisées en octobre 2011 par l'Ifop. Selon le Cevipof, on recenserait actuellement " 2,7% de personnes se définissant comme pied-noir " parmi la population française inscrite sur les listes électorales, soit " 1,2 million d'électeurs potentiels ".
Avec les personnes revendiquant " une ascendance pied-noir ", la communauté s'élèvent cette fois à 3,2 millions de votants potentiels à la présidentielle (sur environ 43 millions d'électeurs. NDLR).
L'enquête relève " l'orientation assez droitière " de la communauté lors de l'élection présidentielle de 2007, avec 31% de voix pour Nicolas Sarkozy au premier tour et 18% pour Jean-Marie Le Pen, alors candidat du FN. (3)

3. C'était presque le pourcentage obtenu par Jean-Marie Le Pen aux présidentielles le 5 mai 2002 contre Jacques Chirac (17,79 %).
On retrouve en 2012 " la prime donnée à la droite de manière générale par les pieds-noirs, bien que Nicolas Sarkozy ne soit pas aussi haut qu'en 2007 ". " Concernant le second tour, les personnes se considérant comme pied-noir confirment leurs tendances droitières puisque Nicolas Sarkozy et François Hollande sont au coude-à-coude avec 50% des suffrages ", contre environ " 42% pour le premier et 58% pour le second dans l'ensemble de la population ", note le Cevipof.
Effet de génération, les pieds-noirs et leurs descendants perçoivent différemment Nicolas Sarkozy, "qui bénéficie de la tendance droitière des aînés, mais semble rejeté par leurs descendants, au profit François Hollande".
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/03/09/97001-20120309FILWWW00561-le-vote-pied-noir-avantage-le-pen.php

Et pour ce qui est de l'ensemble des français :

" Si le premier tour de l'élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, pour qui voteriez vous ? "

Le constat des Français interrogés est implacable : parmi les dix candidats de l'élection d'avril 2012, seuls 19% choisiraient François Hollande. Il y a un an, ils étaient 28,6% à avoir donné leur voix au candidat socialiste.
Avec ce score, le président ne serait même pas au second tour. Un an après l'élection du président, les personnes sondées placent en tête Nicolas Sarkozy (34%, contre 27,2% l'an dernier) et Marine Le Pen (23%, contre 17,9% en 2012).
Sondage exclusif CSA pour BFMTV réalisé par Internet du 26 au 28 avril 2013, sur un échantillon représentatif de 1.027 personnes majeures d'après la méthode des quotas.

Les comportements politiques des Pieds-Noirs sont assez mal connus. Les médias ou l'opinion publique en général associent souvent le vote des " Pieds-Noirs " à celui du Front national. " Vote Pied-Noir " et vote FN sont, en effet, fréquemment confondus comme si ce groupe était acquis à l'extrême droite.

Le vote des Pieds-Noirs en faveur du FN est souvent évoqué par les médias- Les études de références en Sciences politiques ne traitent généralement que de cet aspect. Elles mettent en évidence que la filière " rapatriés " est l'une des trois composantes de l'extrême droite. Toutefois, elles montrent aussi que le développement récent de l'extrême droite se réalise surtout dans les régions de l'Est de la France où sont localisées les industries en crise de restructuration (Camus, 1996; Perrineau, 1996; Mayer, 1999; Bon, Cheylan, 1988). Or, ces zones, notamment au Nord-Est, n'ont pas accueilli beaucoup de rapatriés.
Les élections présidentielles de 2002 sont aussi là pour nous rappeler qu'il n'y a pas que des Pieds- Noirs qui votent pour le FN, d'autant qu'il s'agit d'une population vieillissante dont le poids électoral est moindre que par le passé.

J.-M. Le Pen a toujours exprimé de la sympathie envers les Français d'Algérie. Il a été, pendant la guerre d'Algérie, l'un des rares hommes politiques à avoir publiquement soutenu les Français d'Algérie (4). Des Pieds-Noirs lui en furent reconnaissants et n'hésitèrent pas à voter pour son parti quelques décennies plus tard.

4. En septembre 1956 alors député, J.-M. Le Pen quitte l'assemblée nationale pour combattre en Algérie dans le 1er régiment étranger de parachutistes. Des PN s'en souviennent car il fut l'un des rares hommes politiques à s'engager pour défendre leur cause. L'opinion publique préférerait l'amnésie à la reconnaissance ; certains ont la faiblesse de penser le contraire.

Les rapatriés ont eu des trajectoires de vote très diverses et individualisées bien qu'ils aient vécu un drame collectif. Cela résulte de la socialisation et du vécu de chacun. Le traumatisme du rapatriement ne s'est pas exprimé en politique de manière uniforme.

La guerre d'Algérie marque une rupture véritable. Il a pu y avoir un " réalignement électoral ".
Des Pieds-Noirs cessent alors de voter pour les partis qui ont pris part activement à la décolonisation.
Ainsi des électeurs du PC en Algérie ont reporté leur voix sur le PS, sur les partis du centre et de droite après 1962 et plus tard sur l'extrême droite.
Des Pieds-Noirs qui votaient pour la SFIO en Algérie, peuvent avoir eu des trajectoires de vote analogues et ils votent désormais à droite.
Des gaullistes, en Algérie, ont refusé de voter pour le RPR et sont allés vers les partis du centre ou vers le FN. Peu sont attirés par la gauche.
Les Pieds-Noirs qui votent aujourd'hui pour le FN votaient en Algérie pour les partis de droite classique. Certains votaient pour la SFIO ou le PC. Peu étaient proches de l'extrême droite en Algérie.

Il n'existe pas un " vote Pied-Noir ", mais " des votes Pieds-Noirs ". On note une variété d'opinion dans ce groupe. Le vote des rapatriés est, en effet, multiforme. Il l'était déjà en Algérie, il continue de l'être aujourd'hui. Les rapatriés sont également très divers au plan social et religieux. Au-delà de la diversité des votes des Pieds-Noirs, il convient de souligner que l'orientation globale d'une majorité de rapatriés est aujourd'hui à droite.
Certains votent aussi ou ont voté pour le FN. C'est une particularité des Pieds-Noirs au plan politique, liée aux conditions de la décolonisation.
La gauche a eu plus de mal à conserver cet électorat. Les variables sociodémographiques explicatives du positionnement sur l'échelle gauche-droite continuent d'être opérantes chez les rapatriés, mais elles sont " concurrencées " voire " perturbées " par les variables relatives au traumatisme du rapatriement.

Emmanuelle Comtat Pacte-CNRS/IEP de Grenoble
" La question du vote Pied-Noir ".Extraits
In: Pôle Sud, N°24 - 2006. pp. 75-88. doi : 10.3406/pole.2006.1265
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pole_1262-1676_2006_num_24_1_1265

En conclusion, on ne doit pas, en France, dénigrer les multiples communautés qui peuplent l'hexagone. C'est juste, car les mauvaises actions de quelques uns ne doivent pas jeter le discrédit sur l'ensemble des groupes auxquels ils appartiennent. Mais on peut généraliser à l'envi sur les PN en utilisant des images toutes faites sans que cela ne gène les gendarmes de la pensée pourtant bien zélés d'ordinaire et attentifs à la moindre virgule mal placée, ou au lapsus qu'ils jugeront, de toutes façons, révélateur.

Nota : Thomas GUÉNOLÉ est politologue et maître de conférence à Sciences Po, docteur en sciences politiques (Sciences Po - CEVIPOF). Chroniqueur politique au Plus du Nouvel Observateur, collaborateur d'Atlantico, il est invité régulièrement en tant qu'expert sur les plateaux télévisés (France 3, France 24, BFM-TV, LCI) ou à la radio (France Culture, France Info, Europe 1, RMC
http://www.thomas-guenole.fr/

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Mis en ligne le 12 juillet 2013