Les médecins militaires propagateurs de la vaccine dès le début de l'occupation de l'Algérie
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Parmi les maladies sévissant à l'état endémique en Algérie, la variole occupe une place particulière en raison des bienfaits de la vaccination jennérienne. La variole régnait à Alger lorsque Chevreau fit sa première vaccination le 10 janvier 1831. Désormais, les médecins militaires s'attacheront à cette mission, dans les villes et dans les tribus. Cette recherche sur la propagation de la vaccine couvre la période 1831-1847, celle de la conquête, pendant laquelle les officiers de santé devaient assurer le soutien sanitaire des expéditions et faire face aux épidémies, fièvres et choléra notamment. Débarquant à Alger en 1830, les officiers du corps de santé militaire découvrent un pays où sévissaient à l'état endémique les plus graves maladies : variole, paludisme, typhus, dysenterie, fièvre typhoïde, peste. Avec près de 22 000 entrées dans les hôpitaux de l'armée d'Afrique en 1830 et 32 000 en 1831 (1), ils sont confrontés à une dure réalité (Comité de lecture du 20 février 2010.). Les maladies endémo épidémiques frappent les Indigènes comme elles frapperont les Européens et la lutte contre les épidémies deviendra un objectif majeur dès le début de l'occupation de la Régence. Parmi les maladies sévissant à l'état endémique, la variole, cause importante de la mortalité infantile, occupe une place particulière en raison des bienfaits de la vaccination jennérienne.
L'état de la vaccine en Algérie avant le débarquement des troupes françaises (1802-1830)
L'introduction de la vaccine dans la Régence date de 1802. Le professeur Pierre Goinard rappelle que "la variole y était endémique, tuant une fois sur deux et laissant après elle nombre d'aveugles : la vaccine avait été introduite en 1802 mais des empiriques s'en tenaient à la variolisation qui contribuait souvent à diffuser le mal" (3). Le chirurgien principal Guyon situe l'introduction de la vaccine à Alger "vers la fin de 1803, à l'occasion d'une épidémie de variole qui désolait le pays ; la vaccine fut pratiquée par les consuls des différentes nations qui ne négligèrent rien pour encourager sa propagation ; et quelques habitants notables ayant fait vacciner leurs enfants, leur exemple fut bientôt suivi, non seulement dans la capitale, mais encore sur les autres points de la Régence (4)". Dans ce même article publié en 1836, Guyon nous apprend que M. Martingo fut le premier à vacciner à Alger et cite les médecins qui pratiquèrent la vaccination dans la Régence : les docteurs Oudras, Assenti, médecin espagnol qui avait été attaché à la personne du dey et Méardi, attaché au consulat de Sardaigne.
Cependant, d'autres épidémies freineront le développement de la vaccine. Le médecin général inspecteur Pierre Lefebvre rappelait, lors d'une mémorable séance de la Société française de médecine des armées, que "la peste fit périr à Alger, de 1816 à 1822, plus de 20 000 personnes (5)". Médecins militaires propagateurs de la vaccine en Algérie (1831-1847)
Dans un texte sur la variole, le MGI Antoine rappelle un point d'histoire : " Dès l'introduction de la méthode vaccinale en France, l'Empereur Napoléon 1er est séduit et envisage de faire protéger les soldats, conforté dans cette intention par un rapport favorable établi en 1806 par les inspecteurs généraux du Service de santé des armées (8) ". Il précise aussi que l'emploi de la vaccine dans l'armée française fut initialement réglementé par l'Instruction du 29 mai 1811 qui comprend 24 articles (9). Les officiers de santé étaient donc familiarisés avec son utilisation lors du débarquement en Algérie.
Mauricheau - Beaupré, chirurgien en chef de l'armée d'Afrique, avait diffusé, le 30 mai 1830, une directive qui se termine par un appel à la charité envers les populations autochtones (10). Son adjoint, le chirurgien principal Chevreau, sera le premier des officiers de santé empressés à poursuivre l'entreprise commencée dans la Régence depuis 1802. Sa première vaccination à Alger date du 10 janvier 1831 alors que la variole régnait à Alger où elle faisait des ravages. Guyon rapporte que "la vaccination était une de ses occupations favorites" et "qu'il en consignait les résultats, avec quel zèle il s'y livrait et combien il attachait de prix à en répandre les bienfaits (11)". Chevreau se heurtera cependant aux préjugés des Indigènes pour laisser vacciner leurs enfants. Chevreau est nommé chirurgien principal de l'armée d'Afrique le 23 février 1831. Dès lors, des séances de vaccinations seront organisées à jours fixes dans les hôpitaux d'Alger.
(10) Directive du 30 mai 1830 de Mauricheau-Beaupré, chir. en chef de l'armée d'Afrique (MSSA, C. 982 d. 11bis). Dossier Mauricheau-Beaupré, SHD/DAT, 4 yf. 9719. Casimir Luc Chevreau (12), (02.10.1776 - 21.02.1834). À en juger par les courtes notices qui lui ont été consacrées dans les deux ouvrages commémoratifs sur le Service de santé en Algérie (13), ce personnage est méconnu. Dans le premier, L'œuvre du Service de santé militaire en Algérie, 1830-1930 , le médecin commandant Vergnes, alors chef des services du Musée du Val de grâce, écrit que "Chevreau n'a laissé
Henri, Ignace, André Fleschhut (16), (19.04.1785 - 07.04.1852). Sa carrière débute en 1806 aux hôpitaux de Landau et de Strasbourg. De 1808 à 1814, il sert à l'armée d'Espagne puis à la Grande Armée. Chirurgien aide-major en 1812 au 2ème de Ligne, il est mis en réforme en 1814. Docteur en médecine le 2 mars 1815. Sa carrière militaire reprend en 1823 au 32ème de Ligne en Espagne. Après un long séjour à l'hôpital de Bastia, promu chirurgien major, il est affecté à l'armée d'Afrique dès mars 1830. En service à l'hôpital de la Salpêtrièrie, puis à l'hôpital du Dey en 1833, dont il devient chirurgien en chef le 25 décembre 1834. Chirurgien principal en 1840, il reste à ce poste jusqu'à sa mutation à l'hôpital de Toulon, fin septembre 1842. Retraité en décembre 1843, il était chevalier de la Légion d'honneur depuis 1835. Son fils effectuera une brillante carrière : médecin principal de 1ère classe, commandeur de la Légion d'honneur.
Jean-Pierre Bonnafont (17), (22.01.1805 - 19.05.1891). Entré au service en 1827, il servira en Algérie de 1830 à 1841. Chirurgien aide-major en novembre 1832, il est affecté au 29ème de Ligne. En août 1835, il est démonstrateur d'anatomie à l'hôpital d'instruction. Chirurgien major en novembre 1839, il est cité à l'ordre de l'armée le 25 décembre 1839 après l'expédition de Sétif, puis le 2 juin 1840 après la prise du Col de Mouzaïa.
Antoine, Théophile, Alfred Renaut (19), (26.12.1803 - 25.05.1850). Après avoir participé à l'expédition de Morée, il est désigné pour l'armée d'Afrique dès le 3 mars 1830. Chirurgien aide-major à l'hôpital Caratine à Alger puis à la Ferme expérimentale, il est affecté à l'hôpital du Dey le 12 janvier 1831. Il y restera près de dix ans. Il est, en outre, chargé du service de santé des troupes du génie et de l'artillerie avec lesquelles il participera aux expéditions de Mascara, Tlemcen, Médéa et Constantine. À la suite de celle sur Médéa, il est cité à l'Ordre de l'armée le 11 avril 1836. Chevalier de la Légion d'honneur en 1837, il sera à nouveau distingué le 10 juillet 1840, étant cité dans un rapport au maréchal Valée, gouverneur général, pour sa conduite en Algérie.
En dehors de la ville d'Alger par suite de l'ouverture des hôpitaux militaires, des dispensaires et des infirmeries indigènes, les propagateurs de la vaccine développeront leur activité dès 1831 à Oran, 1833 à Mostaganem et à Bône, 1836 à Guelma, 1837 à Constantine, 1838 à Philippeville, 1839 à Djidjelli, 1840 à Blida, Médéa, Cherchell et Miliana, 1842 à Tlemcen etc…
Dans sa note sur l'état de la vaccine, déjà évoquée (20), Guyon indique que les officiers de santé cherchent à propager la vaccine sur tous les points progressivement occupés et à l'étendre parmi les tribus de l'intérieur. Il cite Giscard, chirurgien-major, et Debourges, chirurgien sous-aide, appartenant tous deux au régiment des zouaves qui "ont fait et font encore tout ce qu'il est possible d'attendre d'une activité infatigable et d'une philanthropie éclairée. Ces mêmes officiers de santé ne se rendent pas moins utiles par leurs excursions dans la plaine, en prodiguant leurs secours aux Arabes des tribus qui viennent les réclamer". Dès 1832, en effet, Giscard avait ouvert une ambulance pour eux à Dély-Ibrahim. Dans son article -Quelques maladies des Arabes et sur l'exercice de la médecine parmi eux- , Giscard écrivait : "J'ai donné mes soins à des malades de plusieurs tribus assez éloignées de nos cantonnements, ce qui m'a permis de voyager avec plus de sécurité qu'un autre… Les Arabes n'ont pas manqué un seul jour de venir me témoigner leur reconnaissance (21)". Bertherand soulignera aussi son action : "En juillet 1834, le docteur Giscard, chirurgien-major des zouaves, prodiguait les secours de son art à des Indigènes venus au marché de Boufarik (22)". Jean-Jacques Pascal Giscard (23), (12.04.1797 - 09.05.1841). Chirurgien sous-aide en avril 1823, il sert près de deux ans à l'armée des Pyrénées avant d'être affecté à l'hôpital militaire de Toulon de 1825 à 1829. Docteur en médecine (30.06.1828), il est promu chirurgien aide-major en mai 1829 et affecté au 30ème de Ligne qu'il quitte en octobre 1830, promu chirurgien major, pour le 1er bataillon des zouaves à Dely - Ibrahim près d'Alger. Dès son retour en France, en janvier 1836, se suivent des affectations hospitalières : Belle-Île en Mer, Bordeaux, Lyon et Marseille où il meurt subitement le 9 mai 1841. Il avait été nommé chevalier de la Légion d'honneur, à titre exceptionnel, en Algérie (18.09.1834).
Joseph Alexandre Numa Debourges (24), (03.08.1806 - 24.08.1835). Fils d'un officier de santé, externe à l'hôpital des vénériens à Paris en 1830, il entre au service comme chirurgien sous aide le 8 avril 1831 à l'hôpital militaire de Rennes. Le 2 mai 1831, le doyen de la faculté de médecine de Paris certifie qu'après sa 16ème inscription, il a été admis à subir le cinquième examen pour obtenir le titre de docteur. Le 28 juin 1832, il est affecté au régiment des zouaves en Algérie où il seconde le chirurgien major Giscard. Propagateurs de la vaccine honorés par S.M. Louis Philippe 1er
Par décision du 12 janvier 1844, sur la proposition du ministre de la guerre, le Roi rendra hommage "aux officiers de santé qui ont le plus contribué à la propagation de la vaccine en Algérie et en ont répandu les bienfaits parmi les indigents de la population européenne et indigène" en leur décernant une médaille d'or ou d'argent. Renaut, chirurgien major de 2ème classe à Mostaganem, Moreau, médecin adjoint à Constantine, Magail, médecin ordinaire à Douera, recevront une médaille d'or et Finot, médecin ordinaire à Blida, recevra une médaille d'argent (27). Qui sont ces officiers ? Le chirurgien major de 2ème classe Renaut (28) - dont il a déjà été question - passera vingt ans en Algérie. Après son long service à l'hôpital du Dey, il est nommé à l'hôpital de Médéa au début de 1840. Promu chirurgien major en juillet 1842 avec l'appui d'Antonini, officier de santé en chef, il est affecté à l'hôpital de Mostaganem où il développe ses initiatives pour la promotion de la vaccine. Il meurt, victime du devoir, le 25 mai 1850 à Alger, des suites d'une fièvre intermittente pernicieuse (29).
Jean, Raphaël, Jules Moreau (30) (22.08.1804 - 30.04.1852). Chirurgien aide-major au 4ème cuirassiers depuis sept ans, il est promu médecin adjoint en février 1840 et affecté aux ambulances de l'Algérie où il servira onze ans. Son caractère le porte à s'occuper des Indigènes. Il est à Constantine quand il est distingué par le Roi puis promu médecin ordinaire de 2ème classe en septembre 1844. Il sera ensuite affecté à l'hôpital militaire de Bône, donnant des consultations gratuites à l'hôpital civil aux Arabes de la ville et des environs. Il quitte l'Algérie pour l'hôpital militaire de Strasbourg en mars 1851. Il y meurt en service en 1852. Il était chevalier de la Légion d'honneur (1846).
Jean, Honoré Magail (31) (28.04.1803 - 15.01.1860). Chirurgien auxiliaire dans la marine pendant sept ans, il débarque en Algérie comme chirurgien aide-major en 1832. Il y servira dix-huit ans, en particulier dans les hôpitaux militaires d'Alger - affecté à trois reprises à l'hôpital du Dey - d'Oran, de Bône et de Douera, de 1837 à 1845, où il est aussi chargé des établissements civils. Le 11 mai 1840, il avait été promu médecin ordinaire. Il est médecin chef de l'hôpital de Mustapha à Alger quand il est affecté à Lyon en mars 1851. Officier de la Légion d'honneur en 1851, médecin principal de 2ème classe, il meurt en service à Lyon. Il est auteur d'un Rapport sur les maladies qui ont régné à l'hôpital de Douera en 1838 (32).
Pierre, Xavier Finot (33) (13.01.1809 - 25.03.1873). Le 3 mars 1830, il est nommé chirurgien sous-aide à l'armée d'Afrique. Son premier séjour prend fin en mai 1833. Médecin adjoint le 13 février 1840, il est affecté aux ambulances de l'Algérie, à Blida. Médecin ordinaire de 2ème classe le 1er avril 1842, il est nommé médecin chef de l'hôpital militaire de Blida et chargé des établissements civils de la ville. Quand le général Bedeau, commandant supérieur, le charge du dispensaire destiné aux filles publiques, il accepte la mission avec l'intention d'y traiter les Arabes et d'y rattacher le service de la vaccination. Cette réalisation lui vaudra d'être distingué par le Roi. En août 1847, il est promu médecin ordinaire de 1ère classe. Il quittera l'Algérie le 27 mai 1848. Sa carrière se poursuivra au corps expéditionnaire de la Méditerranée, aux hôpitaux de Belfort et de Metz où il sera promu médecin principal de 1ère classe en janvier 1855. De novembre 1859 à sa retraite, le 7 avril 1867, il sert à l'École supérieure du génie et de l'artillerie à Metz. Officier de la Légion d'honneur (1862). On retiendra son Compte-rendu du service médical de l'hôpital militaire de Blida en 1842 (34). Michel Lévy écrit à son sujet : "Ce praticien laissera le souvenir d'une expérience acquise dans les campagnes d'Afrique et de quelques travaux scientifiques qui ne sont dépourvus ni de mérite ni d'utilité" (26.06.1866).
Mesures générales favorables à la vaccine
L'année 1844, essentielle dans l'histoire de la colonisation, est celle de la création des Bureaux arabes, le 1er février (35), et de la définition par Bugeaud d'une politique indigène, le 17 septembre (36). En 1845 sont recrutés les médecins fonctionnaires des 13 premières circonscriptions rurales pour les soins aux Européens et Musulmans indigents (37). Il faudra cependant attendre le 30 juin 1847, six mois avant la reddition définitive d'Abd-el-Kader, pour que le ministre de la guerre adresse au Gouverneur général de l'Algérie la fameuse circulaire concernant l'organisation définitive du service de santé gratuit au profit des Indigènes auprès de chacun des Bureaux des affaires arabes de l'Algérie. L'article 2 précisait : "ce service sera fait par l'officier de santé militaire de l'hôpital, de l'ambulance, ou des corps voisins de chaque Bureau…".
Cependant, l'acte fondamental est l'arrêté ministériel du 21 janvier 1853 portant réorganisation du Service médical de colonisation. L'article 9 stipule que "les médecins de colonisation sont tenus " de propager la vaccine ". La situation matérielle offerte à ces médecins, particulièrement médiocre, gêna le recrutement et nombre des 60 circonscriptions continuèrent à être desservies par des médecins militaires (39).
Dans son rapport au Baron Larrey, en 1858, sur les médecins de colonisation, le docteur Paÿn évoquera les difficultés du service de santé pour les Indigènes : "propager la vaccine et traiter les maladies chez les indigènes n'est pas chose facile en l'état actuel. Les Arabes se laisseraient volontiers vacciner ou traiter si cela devait leur procurer quelque argent, mais rétribuer le médecin pour cela n'entrera jamais librement dans leur idée. Les Bureaux arabes sont parvenus par l'intimidation à introduire quelques médecins sous la tente indigène pour les vacciner ou leur porter secours. Il est déplorable de voir des tribus entières, qui vivent au milieu de nous, repousser avec obstination les bienfaits de la vaccine et nous exposer d'un jour à l'autre à voir apparaître les épidémies de variole (41)". Le docteur Paÿn avait été recruté parmi les tous premiers médecins de circonscriptions. Son opinion désabusée, fondée sur quinze ans d'expérience, n'en a que plus de valeur.
Dans une étude publiée en 1962 (42), le professeur Combe rappelait que la mortalité infantile étant très élevée, la protection infantile avait posé aux autorités de difficiles problèmes dès le début de l'occupation : "Les épidémies de peste, de choléra, de variole, de typhus, les affections gastro-intestinales, surtout en été, le paludisme pendant les trois-quarts de l'année, la syphilis, la misère et le manque d'hygiène contribuaient à tuer un très grand nombre d'enfants".
Dans sa remarquable étude -Européens "Indigènes" et Juifs en Algérie (1830-1962)-, ouvrage d'histoire démographique, Kamel Kateb (48) ne manque pas de rappeler que "les médecins militaires développèrent des infirmeries indigènes et se déplacèrent dans les tribus où ils pratiquèrent la vaccination antivariolique (...) La variole, cause importante de mortalité infantile, est combattue par la vaccination avec la mise en place de médecins attachés aux Bureaux arabes (1848-1849) (49)". Ce chercheur a passé plusieurs mois à exploiter les archives du Musée du Service de santé des armées. On peut s'étonner qu'il n'ait pas relevé l'action des officiers de santé propagateurs de la vaccine en Algérie de 1831 à 1848. Tiré de LA SEYBOUSE 1er mars 2025 |
Mis en ligne le 25 mars 2025