L’AN 1666, le dix-septième jour de Mai
du Règne du Très Chrétien très puissant,
très excellent & invincible Prince Louis
XIV du nom, par la grâce de Dieu, Empereur de
France & de Navarre. Le Sieur André François
Trubert Gentilhomme ordinaire de la Maison de
Sa Majesté, & Commissaire Général de ses Armées
Navales, envoyé par le très haut & puissant
Prince Monseigneur François de Vendôme Duc
de Beaufort, Prince de Martigues, Pair, Grand Maître, Chef & Surintendant Général de la Navigation
& Commerce de France. En conséquence
des Lettres écrites par les très Illustres Pacha,
Divan & Milice de la Ville & Royaume d’Alger,
par lesquelles ils auraient témoigné être en
volonté de rétablir l’ancienne amitié, & bonne
correspondance qui étaient autrefois entre les
Sujets de Sa Majesté & eux, se serait présenté
en cette Ville d’Alger, où après avoir rendu les
Lettres de créance de Son Altesse en réponse,
lesdits très Illustres Pacha, Divan & Milice en
expliquant les ordres du Grand Seigneur, & en
exécutant la Capitulation ci-devant faite entre les
Empires de deux si grands Monarques, auraient
d’un commun consentement résolu de rétablir,
& même de conserver & maintenir à l’avenir
une bonne paix & amitié, & pour cet effet sont
convenus des articles qui suivent.
I. Que, les Capitulations faites & accordées
entre les deux Empereurs & leurs prédécesseurs,
ou celles qui seront accordées de nouveau
à l’Ambassadeur de France, envoyé exprès à la
Porte du Grand Seigneur pour la paix & repos
de leurs États, seront exactement & sincèrement
gardées & observées, sans que de part & d’autre il y soit contrevenu directement ou indirectement.
II. Que toutes courses & actes d’hostilités
tant par mer que par terre cesseront, sans qu’à
l’avenir les Corsaires du Royaume d’Alger rencontrant
les Navires & autres Bâtiments Français,
tant de Levant que de Ponant, ensemble
tous les Négociants sous la Bannière de France
Sujets de Sa Majesté, puissent visiter, prendre
ni toucher aux personnes, robes, Vaisseaux &
marchandises, ni autre chose leur appartenant,
ayant passeport de l’Amiral de France. Et pour
appuyer d’autant plus le présent Traité qui n’a
été rompu que par des particuliers Armateurs,
les très Illustres Pacha, Divan & Milice leur
ordonneront de n’y contrevenir en aucune manière
que ce fait, & seront obligés avant de
sortir de leurs Ports, de prendre un certificat du
Consul Français résidant en ladite Ville d’Alger,
pour être reconnus des Navires, Galères
& Bâtiments de France, afin que les Corsaires
de Tripoli, & autres de Barbarie ne puissent se
prévaloir de la conformité de la Langue & de l’Étendard.
III. Comme aussi ne sera permis que dans les Ports de France soient armés, aucuns Vaisseaux
pour courir sur ceux d’Alger, & en cas
que les Sujets de Sa Majesté se mirent au service
d’autres Princes, & fassent le cours sous la
Bannière & d’iceux, Sa Majesté les désavouera,
& ne leur donnera aucune retraite dans ses
ports pour y conduire les Turcs des dites Ville
& Royaume, & si tant est qu’ils y abordent, Sa
Majesté les fera mettre en liberté avec leurs Navires
& facultés. De même s’il était mené par
les Corsaires des autres Royaumes & Pays de la
domination du Grand Seigneur quelques Français
par force dans la Ville & Royaume d’Alger,
il leur sera donné à l’instant la liberté, avec une
entière restitution de leurs facultés.
IV. Que tous les Esclaves Français qui sont
dans l’étendue du Royaume d’Alger, pris sous
quelque Bannière que ce soit, ou qui pourraient
être pris à l’avenir, de quelque qualité & condition
qu’ils soient, sans en excepter aucun, seront
mis en liberté, rendus de bonne foi, ainsi
que les Janissaires qui sont en France, pris sous
la Bannière, dans les Vaisseaux de la Ville &
Royaume d’Alger, feront pareillement rendus.
V. Les Navires, Galères & autres Bâtiments,
tant de guerre que de marchandises de part &
d’autre se rencontrant à la mer après s’être reconnus
par les Patentes de l’Amiral de France,
& par le Certificat du Consul des Français,
qu’ils feront voir réciproquement par le moyen
de leurs Chaloupes & de leurs Bateaux, se donneront
nouvelles, & seront reçus dans tous leurs
Ports & Havres comme vrais & bons amis, &
leur sera fourni tous les vivres, munitions, marchandises
dont ils auront besoin, en payant au
Prix courant des marchés publics, & les droits ordinaires.
VI. Et pour travailler à l’établissement d’un
commerce ferme & stable les très illustres Pacha,
Divan & Milice enverront, s'il leur plaît,
deux personnes de qualité d’entre, eux résider
en la Ville de Marseille, pour entendre sur les
lieux les plaintes qui pourraient arriver sur les
contraventions au présent Traité, auxquels sera
fait en ladite Ville toute sorte de bons traitements.
Comme aussi le Consul des François
fera le même offi ce en la ville & Royaume d’Alger.
VII. Ledit Consul jouira, des mêmes honnêtetés, facultés & pouvoirs dont il doit jouir
en conséquence des Capitulations qui ont été
faites, ou qui le seront ci-après entre les deux
Empereurs, & à cet effet avec la prééminence
sur tous les autres Consuls, il aura chez lui
l’exercice libre de la Religion Chrétienne, tant
pour lui : que pour tous les Français qui se trouveront
en ladite Ville. Il aura aussi le privilège
de changer de Trucheman, quand il le jugera
nécessaire.
VIII. Qu’icelui Consul ni autre sujet de S.
Majesté ne sera contraint de payer, les dettes
d’aucun Français ou autre, s’il n’y est obligé
par écrit, & que toutes les autres Nations qui négocieront
en ladite Ville & Royaume d’Alger,
& qui n’auront point de Consul, reconnaîtront
celui de France & lui payeront les droits accoutumés sans difficulté.
IX. Que les étoffes & vivres que le Consul
Français fera venir pour son usage ou pour
présent seulement, ne payeront aucuns droits ni
impôts, non plus que ce qu’il achètera sur les
lieux pour la provision de sa Maison.
Que si quelque Français ou autre étant sous sa
protection meurt dans l’étendue du Royaume d’Alger, son bien sera mis entre les mains de
celui en faveur de qui il aura testé, sinon entre
celles dudit Consul, pour en rendre compte à
qui il appartiendra, & en cas qu’il arrivât quelque
différend tel qu’il puisse être, qui causât la
rupture du présent Traité, il sera permis au Consul
Français de se retirer où bon lui semblera,
& d’emmener les Marchands Français & Les
domestiques qui se trouveront dans la Ville &
royaume d’Alger avec tous leurs biens & équipages en toute sûreté.
X. Que si un Vaisseau ou autre Bâtiment
Français fait naufrage aux côtes dédites Ville &
Royaume d’Alger, il sera secouru par mer & par
terre des habitants des côtes, & les marchandises
& les Bâtiments remis à qui ils appartiendront,
ou entre les mains du Consul, & que tant celles-là que les autres qui ne seront point conduites
dans ladite Ville d’Alger, ne paieront aucuns
droits, quoiqu’elles aient été déchargées, non
plus que les Vaisseaux & Barques qui reprendront
les marchandises non vendues, ne payeront
point d’ancrage pour leur sortie, & en cas
qu’il arrivât le même accident aux Vaisseaux &
autres Bâtiments du Royaume d’Alger par les côtes de France, ils recevront un traitement pareil.
XI. Si quelqu’un des Sujets de Sa Majesté
frappe ou maltraite un Turc ou un Maure, on
pourra le punir après en avoir donné avis au
Consul ; mais en cas qu’il se sauve, on ne pourra
s’en prendre audit Consul ni à aucun autre.
On demeure d’accord aussi que nul des Turcs
ou Maures qui ont des Esclaves Français, ne
pourront les contraindre ni forcer à changer de
Religion, ni leur faire aucune menace pour les y obliger.
XII. Que les Marchands Français négociants
dans tous les Ports & Rades du Royaume d’Alger
seront traités pour les levées & impositions
autant & plus favorablement qu’aucune autre
Nation étrangère. Et si à l’avenir il arrivait de
part & d’autre quelque action qui pût être prise
pour un sujet de mécontentement, il ne fera pas
pour cela permis à celui qui s’estimera offensé,
d’user de force & d’hostilité, jusqu’a ce que l’on
ait refusé de faire justice à ceux qui se plaindront.
Et pour le surplus seront les Capitulations
ci-devant faites, ou qui le seront ci-après entre
les deux Empereurs, comme le présent Traité, observés de part & d’autre de point en point selon
leur forme & teneur. Et afi n que nul Sujet
des deux Empires n’y puisse contrevenir, on les
fera publier dans toute leur étendue, incessamment,
& le plutôt qu’il se pourra.
Le tout ayant été accordé dans une assemblée
générale ; ainsi arrêté & signé en présence
du Divan, & scellé, tapé en l’original de la marque
du Pacha, & signé André-François Trubert.
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