25/06/1962 : Les Pieds-Noirs débarquent à Marseille
Paul Molga - Les Echos n° 21231 du 20 Juillet 2012 - page 5

Débarqués sur les quais phocéens pendant l'été 1962, les rapatriés français d'Algérie ont dû tout reconstruire dans une ville entourée à l'époque de bidonvilles.

" Que les pieds-noirs aillent se réadapter ailleurs, qu'ils quittent Marseille en vitesse. "
Cinquante ans après l'exode massif des expatriés français au lendemain de la proclamation de l'indépendance algérienne, l'accueil glacial du maire, Gaston Defferre, a encore du mal à passer chez les Français de l'autre rive installés dans la cité phocéenne. " Cet été-là, en débarquant avec les premiers bateaux, le 25 juin, mes parents ont tout perdu : leurs biens, leurs souvenirs, leur honneur, et leur avenir. J'avais douze ans, ma vie s'est effondrée ", témoigne Annick Massey, une parmi les centaines de milliers d'exilés qui affluent sur le port et l'aéroport de Marseille après le massacre d'Oran, le 5 juillet 1962.

Après les rapatriés d'Indochine, du Maroc et de Tunisie, cette nouvelle vague est celle de trop. Trois quarts des Français de métropole rejettent alors toute idée de sacrifice pour leur venir en aide. Le surnom qu'on prête à ces " repliés " focalisent sur eux la défaite.
Entassés sur les quais, hagards, niés de la nation, qui refuse d'envoyer le moindre de ses ministres à leur rencontre, 120.000 de ces réfugiés s'accrochent à la cité phocéenne.
C'est un choc urbain autant qu'historique.

Remodelage urbain

Dans cette ville pauvre, près de 40.000 familles attendent déjà un logement, des milliers d'entre elles vivent dans des conditions insalubres et 26 bidonvilles parsèment déjà ses pourtours. Elle manque de tout : assainissement, transports urbains, équipements sanitaires, téléphone, écoles...
L'exode est familial. Les trois générations qui débarquent sur les quais nécessitent tous les services. Pour scolariser les enfants, il faut créer 440 classes dès septembre 1962. Le chantier est impossible. Dans l'urgence, la ville doit installer des préfabriqués.

" Cet exode massif va se révéler comme un accélérateur du remodelage urbain ", explique l'historien Jean-Jacques Jordi. Dispersés du nord au sud, des terrains sont réquisitionnés dans une vingtaine de quartiers encerclant l'hypercentre villageois à 7 kilomètres de distance. On y construit des barres d'immeubles à tout-va dont le tiers est réservé aux rapatriés d'Algérie. " En quatre ans, avec 15 % de population supplémentaire, Marseille change de visage ", poursuit l'historien.
En marge des HLM, les promoteurs y testent la vente sur plan. Des copropriétés géantes fleurissent, comme la Rouvière, qui compte 2.000 logements.
Un peu plus à l'écart, un incroyable projet dessiné par d'anciens colons marocains connaît un coup d'accélérateur. Pour 45 millions de francs, une coopérative a fait l'acquisition de 270 hectares de garrigues entre Cassis et Aubagne. La terre est sèche et chaude. Elle rappelle aux rapatriés leur ancien asile : 250 nouvelles bâtisses sont construites en 1962 et quatre ans plus tard, le site compte 1.300 habitants. Il obtient un statut communal et un panneau à l'entrée du village : Carnoux, 119e municipalité des Bouches-du-Rhône, dotée de ses propres écoles, d'un collège, d'un cimetière tourné vers l'Algérie et de sa propre église, Notre-Dame-d'Afrique, référence miniature à la basilique d'Alger.

Les meubles posés, apaisés, les pieds-noirs vont dynamiser la ville comme on ne l'avait pas vu depuis les grandes heures du commerce maritime. " Quelqu'un qui n'a rien à perdre ne craint pas d'entreprendre ", note Joseph Perez, ancien président de la Société Marseillaise de Crédit.
De Gérard Gineste, qui a porté la publicité aux sommets avec sa société Sun Advertising dans les années 1980, à Bernard Pol, créateur d'une clinique privée de 160 lits (La Résidence du Parc), en passant par Jean-Pierre Koubi (Meublena), Jean-Baptiste et Anaïs Ferrero (les couscous du même nom), Alain Afflelou (les lunettes) et Orangina (qui se relocalise à Marseille), l'économie a été pour les 3.600 industriels et 31.000 commerçants rapatriés d'Algérie " une nouvelle terre ".
Paul Molga - CORRESPONDANT À MARSEILLE

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Mis en ligne le 09 octobre 2013

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