La toubiba el aïnine : Le Dr Renée Antoine |
Née à l'Hillil en Oranie, le 26 juin 1896, Renée Antoine fut au nombre des premières bachelières algériennes. Au terme de très brillantes études de médecine à l'université d'Alger (externe, interne, chef de clinique), elle ouvrit un cabinet privé d'ophtalm0logie où elle ne consacra cependant qu'une faible partie de son temps et de son activité ; elle s'intéressait plutôt aux quartiers populeux de la capitale algérienne. A partir de 1940, elle assura une nouvelle charge, celle d'oculiste du trachome dans les secteurs de Tizi-Ouzou, Miliana, Orléans ville et Médéa puis en 1942 elle créa 21 l'hôpital-dispensaire d'El Affroun un centre ophtalmologique rayonnant sur toute la Mitidja. Cette expérience, minutieusement préparée et conduite, connut un tel succès que l'année suivante le Gouverneur général approuva sans réserve le projet d'une Mission ophtalmologique saharienne périodique que Renée Antoine venait d'élaborer. Chaque année, notre amie parcourait durant un à deux mois les Hauts Plateaux, le pré-Sahara et les immensités désertiques depuis la frontière sud-marocaine jusqu'au M'zab, au Fezzan, au Touat, au Gourara, au Hoggar, au Tassili, aux confins soudanais. Rentrée en France à la suite de l'indépendance, elle s'installa clans la banlieue Est d'Aix-en-Provence, dans des conditions précaires car elle avait dû abandonner son cabinet d'Alger et sa petite maison de Kadous sans contrepartie. Rayonnante, l'imagination toujours en éveil, mue par une préoccupation constante de soigner, de guérir, de soutenir moralement autant que physiquement, elle poursuivit sans cesse son combat.
Sa nostalgie de l'Algérie, et plus encore du Sahara, était profonde ; elle évoquait sans arrêt la lumière de son pays natal, le caractère direct des contacts humains, la confiance entière que tant d'hommes et de femmes lui avaient témoignée. Aux derniers moments des grappes de " non-inscrits " se joignaient aux précédents car, dans les tribus comme dans les ksour, le contingent de ceux qui étaient menacés de cécité ou d'autres affections oculaires graves était impressionnant.
Pour répondre à tous les appels, la toubiba laissait les journées de consultations, de soins, d'opérations s'allonger démesurément. C'est ainsi que dans un compte-rendu, elle pouvait écrire : " ...dans la nuit qui descend, commence une hallucinante consultation aux flambeaux ;
envahissantes par vagues superposées, les mères et leur marmaille bruyante déferlent sur nous avec l 'impétuosité dune marée montante. L'une tire le bas de notre sarreau, l'autre secoue notre manche, la troisième, par-dessus notre tête, nous impose son marmot. Après chaque consultation, des pressions latérales engagent simultanément trois ou quatre candidats devant nous à notre examen. Toutes les bouches parlent, rient ou hurlent ; toutes les couleurs chatoient aux lueurs indécises des lampes à acétylène grossièrement aménagées. Heures éblouissantes, harassantes, délicieuses où l'on sent le vrai contact de nos esprits et de nos coeurs s'établir en se ramifiant avec chacune de ces créatures qui seraient si vite conquises si l'on pouvait rester... "
Ces lignes donnent un reflet de la foi, de l'énergie, de l'inlassable générosité de notre amie. Georges Hirtz - L'Echo de l'Oranie N°398 janvier/février 2022
Initialement publié dans les Dossiers de la mémoire du CDHA, n°3 de juillet 1988
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Mis en ligne le 12 mars 2021