L'Algérie romaine

Albert Camus a commencé sa carrière littéraire en rendant hommage aux ruines romaines oubliées de Tipasa et Djemila. L'Algérie est en effet, de toute l'Afrique, le pays où les vestiges du passage des Romains de l'Antiquité sont les plus nombreux et pourtant souvent les plus méconnus.

Les grands sites

Au V' siècle av. JC, les Phéniciens fondèrent un comptoir sur les bords de la Méditerranée : Tipasa.
Tipasa était l'une des cités les plus importantes du monde punique, elle jouait le rôle d'escale maritime et de lieu d'échange commercial. En 146 avant JC, les Romains annexaient le Maghreb, alors appelé Maurétanie. La cité évolua alors beaucoup et se para notamment d'une muraille pour la protéger (muraille détruite par la suite par les Vandales en l'an 430).
A la fin du 1er siècle, Tipasa était à son apogée. Puis, à l'ère chrétienne, le port continua d'attirer les marchands et voyageurs. Cette période laissa à la ville une basilique dont il ne reste que quelques vestiges. Les premières fouilles y furent effectuées en 1885. Le site de Tipasa fut inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1982 : « Le site archéologique de Tipasa regroupe l'un des plus extraordinaires complexes archéologiques du Maghreb, et peut être le plus significatif pour l'étude des contacts entre les civilisations indigènes et les différentes vagues (le colonisation du VIe siècle avant J.-C. au VIe siècle de notre ère ».
Mais c'est certainement Albert Camus qui décrit le mieux la cité. Dans son roman Les Noces, publié en 1938, il nous emmène a sa découverte a travers de longues tirades décrivant avec précision les allées et le village.
« Au printemps,Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierre... ».

A l'est de Tipasa, se trouvait Caesarea, devenue Cherchell.
Caesarea, la plus grande cité romaine d'Algérie s'étendait sur 370 hectares. Il n'en reste malheureusement pratiquement rien. Les ruines antiques furent pour la plupart démontées et servirent de matériaux de construction aux bâtiments de la future Cherchell. Seules les mosaïques, les statues de marbre ont été retirées et conservées dans divers musées.

Puis, pour gagner Djemila, autre grand site romain, on passe par Sétif.
Connu sous son nom antique de Cuicul, le site défensif de Djemila était un des établissements d'une ancienne colonie romaine fondée sous le règne de Nerva (96-98 de notre ère). Les ruines sont en bien meilleur état qu'à Tipasa et ne sont pas enfouies dans la végétation. Dès l'entrée du site, on a une vue d'ensemble extraordinaire sur l'ancienne ville, exemple remarquable d'urbanisme romain adapté à un site montagneux, avec son forum, ses temples et ses basiliques, ses arcs de triomphe et ses maisons. Une balade au milieu des vestiges permet de découvrir tout ce qui animait l'existence dans une ville romaine : le capitole, le forum, les thermes, les marches, etc.
Pour l'Unesco, « c'est l'un des plus beaux ensembles de ruines romaines du monde. Les vestiges archéologiques, le plan d'urbanisme romain bien intégré et le cadre environnemental constituent les ressources qui représentent les valeurs attribuées au site ».

Dans un site montagneux d'une grande beauté, au nord du massif de l'Aurès, à 110 km au sud de Constantine, Timgad offre une image figée d'une colonie militaire romaine créée au milieu de nulle part.
La Colonia Marciana Traiana Thamugadi fut fondée en l'an 100 de notre ère par Trajan, probablement pour servir de campement a la 3e Légion Auguste qui, par la suite, fut cantonnée à Lambèse.
« Colonie forte et prospère, Timgad se devait de donner une image saisissante de la grandeur romaine en terre numide. Les édifices, entièrement construits en pierre, ont été fréquemment restaurés au cours de l'empire
: l'arc de Trajan au milieu du IIe siècle, la porte Est en 146, et la porte ouest sous Marc-Aurèle.
Les rues ont été pavées de grandes dalles rectangulaires en calcaire et un soin particulier a été apporte aux aménagements édilitaires, comme en témoignent les 14 thermes identifiés jusqu'à ce jour. Les maisons, de dimensions variées, brillent par leur somptueux décor de mosaïque destiné à pallier l'absence de marbres précieux.
A l'époque chrétienne, Timgad fut le siège d'un évêché célèbre. Apres l'invasion vandale de 430, Timgad fut détruite à la fin du Ve siècle par les montagnards de l'Aurès.
La reconquête byzantine rendit quelque activité à la cité, défendue par une forteresse construite en 539, au sud, en remployant des blocs arrachés aux monuments romains. L'invasion arabe ruina définitivement Thamugadi qui cessa d'être habitée des le VIIIe siècle »
, note l'Unesco

Il ne faut bien entendu pas oublier les autres sites romains comme Tébessa,Tiddis, Hippone ou Lambèse.
A Tébessa se dresse encore le temple le mieux conserve de toute l'Afrique, dédié à Minerve ou Lambèse, avec les restes du capitole et du temple d'Esculape.
Tiddis, bien qu'envahi par les herbes, est un des sites jugés les plus émouvants, à cause de sa situation au flanc d'une colline isolée clans un paysage désert. A Hippone, plus grand chose ne subsiste de la ville telle qu'elle était au temps de Saint Augustin.
La ville romaine, articulée autour du forum le plus vaste d'Afrique s'étendait pourtant jusqu'à la mer. Les quelques vestiges restants sont enfouis sous les mauvaises herbes d'où n'émergent que quelques sculptures.

LES ROMAINS EN ORANIE

L'Oranie fit partie de la Maurétanie Césarienne, au moins jusqu'a l'invasion des Vandales.
Si aucune légion romaine n'a demeuré en Oranie, on y relève tout de même de nombreuses traces de leur passage comme des inscriptions trouvées a Arzew et Saint-Leu signalant la présence de la Legio 1V Flavia et de la Legio X Gemina.
La garde de ce vaste territoire était en réalité confiée à des auxiliaires, des cohortes d'infanterie et des corps de cavalerie qui occupèrent Saint-Denis du Sig, Saint-Leu, Tlemcen, Arbal, Aïn-Témouchent et Aïn-Kial.
Il subsiste ainsi en Oranie quelques ruines de camps, de postes et de villes fortifiées ainsi que des bornes militaires, jalons des routes qui sillonnaient la Province. Citons les sites les plus importants de l'Oranie romaine :

Siga (près de Rachgoun)
Le site est situé sur deux collines dominant la Tafna. Il est le seul de la région à avoir fait l'objet de véritables fouilles à partir de 1936, notamment autour de la ferme Barret où se trouvait l'acropole. La position de Siga et les vestiges découverts laissaient à penser que la localité était le lieu d'un vaste marché et que la cité possédait un grand nombre de constructions importantes.
Il ne restait en 1936 que quelques ruines comme les fondations d'un temple, de thermes et de remparts. Ce sont surtout les objets retrouvés dans ce qui fut d'anciens entrepôts romains et une nécropole d'une trentaine de tombes qui attestèrent de la présence des Romains :
fragments de tuiles romaines, débris de fresques, amphores, statuettes, lampes, broches, monnaies, etc...

Albulae (Aïn-Témouchent)
On sait que la Cohors I Flavia Musulamiorum était cantonnée à Albulae. Ey bien que le site n'ait pas fait l'objet de fouilles organisées, des vestiges ont été découverts lors de la construction de la ville française.
La cité romaine, assez prospère, possédait ainsi des égouts mis à jour par J.Lethielleux en 1856, de vastes citernes, des souterrains qui servaient vraisemblablement d'entrepôts et des huileries. Sur les terrains alentours, on pouvait noter les traces d'une culture ancienne de la vigne.
La découverte de fours permettant la cuisson de pain laissait supposer que l'on y cultivait également des céréales.
Deux cimetières ont été identifiés grâce à des stèles funéraires. Les objets, sculptures et céramiques trouvées témoignaient également de la présence de familles riches et d'une population importante.

Altava (Lamoricière)
C'est au IIIe siècle que les premières troupes romaines prirent position en ce lieu. Puis le poste militaire évolua en une cité civile d'importance. Les nombreuses inscriptions découvertes, les vestiges d'édifices religieux, de structures architecturales administratives et de bâtiments commerciaux constituaient autant de preuves d'une population importante et d'une grande activité dans cette cité.
Altava se situait dans un site propice à l'agriculture et les pressoirs à huile découverts témoignent de l'oléiculture.
« Les pressoirs sont très nombreux et l'abondance des contrepoids isolés prouve que beaucoup d'autres ont été détruits. Mais l'huilerie n'existe pas ; on assiste a un foisonnement de petites entreprises familiales,à un seul pressoir, et qui excluent toute économie de plantation »(1). Deux carrières de calcaire et de travertin avaient été découvertes à environ cinq kilomètres, au sud du site d'Altava.

Pomaria (Tlemcen)
Les premières recherches, menées par O.Mac Carthy sur le site antique de Tlemcen remontent à 1850. Ses découvertes prouvèrent l'intérêt archéologique de la région.
Malheureusement, la cité antique de Tlemcen reposait sous les ruines de la ville médiévale, elle-même fondée à partir des pierres romaines. Les seuls vestiges architecturaux témoignant encore de l'existence de la ville de Pomaria étaient les remparts, les ruines d'un édifice à colonnes, les deux puits, les égouts, les adductions d'eau et les canalisations, le cadran solaire, et enfin les thermes.
On sait malgré tout que l'organisation civile de Pomaria daterait du début du IIIe siècle, où elle est déjà dite res publica pomariensium, ce qui signifie l'existence d'une vie municipale. Par ailleurs, les inscriptions funéraires trouvées en grand nombre dans la localité de Pomaria prouvaient en tout cas la présence d'une nombreuse population. Cette ville devait être assez importante pour posséder un évêque à la fin du Ve siècle.

Camarata (Camerata - Trois-Marabouts)
En 1856, on y trouva les restes de remparts romains et de deux ou trois quartiers, symboles d'une ancienne cité romaine à priori prospère.
En Maurétanie Césarienne, le danger venait surtout du Sud. C'est pourquoi à Tiaret, les premiers Français trouvèrent les mines d'une ancienne et vaste enceinte fortifiée qui protégeait la ville.
A l'intérieur s'élevait une forteresse et un réduit, vestiges d'un gros centre militaire surveillant les abords de l'oued Ouarsenis. La région de Frenda est, quant a elle, très riche en fortins comme celui de Tamgasouth et de Sidi-Bouzid.

Les ports d'Oranie

Portus Magnus (Arzew)
Arzew ne fut identifié comme étant Portus Magnus qu'a partir de 1858 par Berbrugger, après la découverte d'un document épigraphique mentionnant son nom abrégé.
En 1884, Louis Demaeght, militaire et archéologue français, avertissait que les ruines de Portus Magnus servaient de matériaux de construction aux habitants d'Arzew et qu'a ce rythme, le site serait détruit en quelques années. Un petit musée fut installé dans une maison romaine, dont les chambres et le péristyle étaient pavés de mosaïques (en voie de dégradation vers 1880). Des fouilles faites à la ferme Robert, elle aussi en ruine, permirent de découvrir en 1862 deux magnifiques mosaïques, qui furent déplacées au musée municipal d'Oran vers 1885. Les fouilles furent poursuivies au XX° siècle par Mme Julien, qui avait acquis patiemment de ses deniers le secteur nord-est du site.
Il ne reste plus grand chose aujourd'hui de la cité romaine de Portus Magnus (Grand port) qui, pourtant, s'étalait sur près de 36 hectares : des pans de murs de maisons ou de palais, des traces de rues et d'allées, des vestiges de forum et d'acropole, des réservoirs d'eau, des morceaux de colonnes, des fragments de jarres (soigneusement rassemblés dans un jardin). ..
Trop peu pour imaginer la vie dans cette cité portuaire vivante, que les Romains avaient bâtie, que les Vandales auraient détruite vers 430 et que les musulmans auraient ressuscitée dès 647.

Portus Paulus (Port-aux-Poules)
Créé par les Romains entre l'an 200 et 225 av. J-C, Portus Paulus était un port d'hivernage important. De nombreux vestiges de cette période attestent de la prospérité de ce petit port marchand : quais en blocage de grosses pierres taillées, et soubassements d'entrepôts.
Dans la vallée du Chélif, la ville de Quisa (située entre Pont-du-Chéliff et Bosquet), était un port fluvial intérieur, avec une citadelle dominant la vallée puisqu'on y a trouvé les ruines d'une nécropole et des inscriptions en hommage à Trajan et Antonin.
Non loin de là, prés du Cap Ivi, se trouvait un port romain dont il reste peu de ruines. Quelques montants de portes, des fondations de bâtiments, une citerne, et de nombreuses poteries, lampes et pièces de monnaie y ont été trouvées dans les années 30.

Et bien entendu, citons l'ancien port romain Portus Divinus, devenu Mers-el-Kébir au sujet duquel nous n'avons malheureusement pas trouvé d'informations.

1 P. Pouthier, op.cit., M.E.F.R., 68, 1956, p.226.

Simone Descartes. Paru dans "l'Echo de l'Oranie" N°386 janvier-février 20020.

Sources Ferrante Ferranti, Voyage en Algérie antique, Actes Sud, 2012, Arles
Site du Patrimoine Mondial de l'Unesco.

https://whc.unesco.org/fr. Consulté le 15 novembre 2018
Nora Yahiaoui, Les Confins occidentaux de la Maurétanie Césarienne, Sciences de l'Homme et Société, Ecole pratique des hautes études - EPHE PARIS, 2003. Français.

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Mis en ligne le 25 mars 2020

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