On trouve, dans les archives françaises, la trace de deux francs-maçons algériens en 1785/86 pour l'un : Mohammed Techeliby et 1787 pour l'autre Abraham Baker, ayant séjourné à Paris. On trouve également les noms de quatre francs-maçons musulmans dans les procès-verbaux du Grand Orient De France (GODF) toutes chambres réunies, le 27 décembre 1787 : « Mouhamed Bel Aly, Soliman Tagan, Ibrahim Algerino, Studge had Dahli » (Sic) Reste cependant que c'est l'armée française qui a implanté solidement la maçonnerie[1] en Algérie, dès le début de l'expédition d'Alger. 1 Pour une vision de synthèse sur la FM voir : http://www.herodote.net/Franc_maconnerie-synthese-1790.php
1830 : La franc-maçonnerie arrive en Algérie dans les bagages de l'armée
Dans l'armée, qui débarque à Sidi Ferruch le 14 juin 1830, on ne compte aucune loge puisque la Restauration leur avait donné un coup d'arrêt, notamment dans l'armée. Mais les officiers ayant appartenu à la franc-maçonnerie sont assez nombreux, et nous les retrouvons bientôt dans les premières loges créées à Alger, Bône, Oran. La tradition raconte que les officiers francs-maçons auraient tenu une première réunion dès le 15 juin 1830, prenant ainsi « possession de la terre barbaresque au nom de la civilisation, de la tolérance et du progrès ».
Á Oran l'implantation de la maçonnerie est plus tardive. Le maréchal Bugeaud n'est pas dans la liste, mais il est bien « membre de la grande famille ». Les premières années (1830-1849)
Au début, cérémonies, fêtes et banquets, tiennent une grande place dans l'activité des loges, mais la partie la plus positive de l'activité maçonnique reste, sans conteste les manifestations d'entraide et les efforts déployés pour instruire les frères. Aux bals et fêtes de bienfaisance des loges accourt toute la bonne société des villes d'Algérie. 2 - Dans l'annuaire de l'Algérie pour 1843, les différentes loges sont d'ailleurs citées parmi les « sociétés philanthropiques ».
Sous la seconde république et au début du second empire, commence à souffler le vent du libéralisme politique. Le tournant de la troisième république éloigne définitivement les musulmans de la franc-maçonnerie, à de rares exceptions près Deux raisons majeures caractérisent ce tournant : • L'anticléricalisme croissant, ainsi que les concepts de laïcité et d'athéisme amènent l'institution maçonnique à abandonner la référence au Grand Architecte de l'Univers, à renoncer à la notion d'immortalité de l'âme, et à prôner la laïcité.En rejetant l'immortalité de l'âme et le Grand Architecte de l'Univers pour se mettre sous l'égide de la seule Raison, la franc-maçonnerie se condamnait à recruter essentiellement parmi les agnostiques et les athées, très peu nombreux en pays d'Islam[3]. 3 - Par ailleurs, la présence de plus en plus fréquente de juifs dans les temples maçonniques entraina la désertion des loges par les musulmans. Le divorce entre les deux communautés s'en trouva accentué, les juifs s’agrégeant au groupe européen, tandis que les musulmans s'en éloignaient. Le cas de l'Émir Abd el-Kader, franc-maçon Bien qu'il ait été initié en 1864, en dehors de l'Algérie, l'importance de ce personnage impose dans ce chapitre un retour sur l'histoire de son initiation. De 1870 à 1914, la question de la laïcité imprègne tous les sujets abordés par les loges, dont la question de l'enseignement De 1870 à 1914, le nombre de francs-maçons en Algérie se maintient autour de 600.
Ce débat pose aussi la question des madrasas. De 1905 à 1913, les francs-maçons demandent la création d'écoles laïques dans les douars, la suppression des madrasas, la création et le développement des écoles primaires pour les garçons mais aussi pour les filles musulmanes. 4 - Sans violer le moins du monde le Coran », disent-ils, la polygamie « étant une institution arabe, (qui préexistait à l'Islam), et non musulmane ». Entre 1920 et 1940 le thème de l'indispensable « rapprochement franco indigène » s'impose dans les loges, mais n'est-il pas déjà trop tard ? De 1914 à 1918, les travaux des loges ont été suspendus. Ils ont repris seulement en 1919-1920. 5 - Le frère Aït Kaci, un des orateurs « indigène algérien », ajoute qu'il faut aussi « en finir avec le mépris, car celui-ci faisait penser aux musulmans qu'ils n'avaient rien à attendre des Européens ». Il faut lutter contre le mektoub, qui constitue un gros obstacle à l'émancipation, et contre ceux qui ne veulent pas d'écoles.Du côté des loges, la notion de « rapprochement » est plus que jamais à l'ordre du jour, avec comme objectif de n'avoir en Algérie que des citoyens français. Mais « l'Association des Oulémas », aile arabo-islamique du courant nationaliste, créée en 1931, rejette tout projet assimilationniste. Le Front populaire conçoit alors le projet « Blum-Violette » destiné à permettre l'accession de la nationalité française à plus de 20 000 Algériens. Ce projet est combattu aussi bien par les milieux coloniaux que par Messali Hadj, hostile à l'assimilation[6]. 6 - L’Étoile Nord-Africaine fut dissoute au début de 1937. De ses cendres encore chaudes renaîtra le PPA (Parti du Peuple Algérien), en mars 1937, avec le slogan « Ni assimilation, ni séparation mais libération », dissout à son tour en septembre 1939.Á la veille de la seconde guerre mondiale, force est de constater que la plupart des solutions préconisées par les francs-maçons d'Algérie depuis le début du siècle étaient restées lettre morte, et que deux sociétés, en perpétuel contact, cohabitaient sans se pénétrer. De 1940 à la disparition des loges d'Algérie
La loi du 13 août 1940 prononce la dissolution des sociétés secrètes. Sont concernés notamment le Grand Orient de France et la Grande Loge de France, dont les biens furent saisis, ainsi que les archives. Une ordonnance du Comité français de Libération nationale datée d'Alger, le 15 décembre 1943, vient annuler la loi de 1940. L'ordonnance du 31 mars 1945 rétablit la légalité républicaine et rend exécutoire en métropole l'ordonnance d'Alger.
Lors du congrès maçonnique de Tlemcen, en 1952, les loges se montrent opposées à toute idée d'indépendance, préférant la notion « d'interdépendance ». 7 - Bélisaire, Soleil levant, pour Alger, l'Education sociale, Blida, Hippone, Bône, Cirta, Constantine, Les Trinosophes africains, Mostaganem, l''union africaine et la raison réunies (Oran), les Enfants de Mars, Philippeville, les Maçons réunis, Sidi-bel-Abbès, l'Union de Tlemcen.L'analyse du terrorisme qu'ils proposent alors met en lumière : - Des causes intérieures, d'ordre religieux, économique, social et politique, - Des causes extérieures à rechercher dans la politique des USA, de l'Angleterre et de l'URSS[8]. 8 - Par ailleurs, la propagande menée depuis Le Caire par Nasser n'avait pour but, disent-ils, que de mettre en lumière la faiblesse de la France et de l'Occident, et créait une ambiance de peur afin d'amener le départ des Français, l'objectif premier du terrorisme étant d'évincer la France.En conclusion, le convent de 1956 préconise de s'orienter vers « une fédération des peuples nord-africains et du peuple de France. » En septembre 1959, les francs-maçons d'Algérie considèrent que seule une solution politique est à trouver dans la discussion « entre le gouvernement français et les représentants, réellement valables, des éléments de la population algérienne comprenant toutes les tendances d'opinion sans aucune exclusive ». Á partir de 1960-1961, on peut dire que l'on assiste à la disparition progressive des loges en Algérie, précipitée ensuite par quelques actions spectaculaires de l'OAS[9]. 9 - Comme le plasticage de « Bélisaire » à Alger ou celui de la bibliothèque pédagogique d'Oran, fondée en 1924 par des francs-maçons, ou encore l'assassinat de Max Marchand, inspecteur d'académie, franc-maçon, avec 5 autres inspecteurs, le 15 mars 1962 à El Biar.Après l'indépendance, la maçonnerie d'Oran semble de nouveau fonctionner en 1963, ainsi que celle de Tlemcen, qui cessera toute activité le 18 avril 1964. Au convent de 1964, n'étaient plus présentes que cinq loges d'Algérie. Á celui de 1973 ne figuraient plus que Bélisaire et Hippone. Cette dernière se mit officiellement « en sommeil » le 31 décembre 1971, et Bélisaire fut transférée en France où elle existe toujours. Au 31 décembre 1974, la maçonnerie avait totalement quitté la terre algérienne, après 143 ans d'existence. Jean-Pierre SIMON Transmis par J.L.G |
Mis en ligne le 04 avril 2021