Valeur juridique des accords d'Evian

Si la France exerce sa souveraineté en Algérie jusqu'à l'autodétermination on, conçoit qu'elle n'ait pu reconnaître aucune autorité gouvernementale à ses interlocuteurs d'Evian. Dès lors se pose le problème de la valeur juridique des accords d'Evian.

1) La France ne reconnaît pas le G.P.R.A. Les interlocuteurs d'Evian sont désignés du côté français comme " les représentants du F.L.N. "

" L'ensemble des dispositions arrêtées en conclusion des négociations d'Evian avec les représentants du F.L.N. et des consultations menées auprès d'autres éléments représentatifs algériens se trouve maintenant formulé dans les déclarations gouvernementales du 19 mars 1962. "
(Message au Parlement du Président de la République, 20 mars 1962, J.O., A.N., 21 mars, p. 452)

... ou comme " les chefs de la rébellion " : " Ce cessez-le-feu ne pouvait pas être recherché tant que notre armée n'avait point assuré, d'une manière indiscutée, l'autorité de la France sur l'ensemble du territoire. Quand cela eut été fait, renouvelant des offres faites dès septembre 1958, le général de Gaulle, et avec lui le Gouvernement, ont proposé aux chefs de la rébellion des pourparlers en vue d'un cessez-le-feu. "
(Déclaration du Premier ministre à l'Assemblée nationale le 20 mars, J.O., A.N., 21 mars 1962, p. 453) ;

... et encore le 26 avril 1962, dans la déclaration d'investiture du nouveau Premier ministre (au J.O., A.N., 27 avril, p. 748) :
"En fin de compte, au terme de sept années de souffrance, le cessez-le-feu est intervenu. Les dirigeants de la rébellion ont accepté le principe de l'autodétermination, conforme aux traditions de notre pays et à l'évolution du monde. "

Ces qualificatifs sont intentionnels : la France continue à cette époque à ne pas reconnaître le G.P.R.A. et à ne voir en lui que " des combattants " et " un mouvement politique "; le ministre chargé des affaires algériennes l'a dit à la tribune du Sénat avec toute la précision désirable (J.O., Sén., 21 mars 1962, p. 112) :
" Voyons, maintenant, la valeur de ces textes. M. Dailly, d'autres encore ont posé des questions sur les garanties qu'ils représentaient. Certes, le travail qui s'est fait n'est pas un travail de Gouvernement à Gouvernement et il ne s'agit pas d'un engagement international. Nous n'avons pas reconnu le G.P.R.A. et nous signons un cessez-le-feu avec le F.L.N., mais il est bien certain que tout se tenait et que, si nous n'avions pas établi et noué l'ensemble, s'il n'y avait pas eu des perspectives et des garanties d'avenir, il n'y aurait pas eu de cessez-le-feu.
Nous avons donc signé avec des combattants, mais ce n'est pas une raison pour que le F.L.N. ne soit pas lié ; plus encore, ce n'est pas une raison pour que l'Algérie future ne soit pas liée...
" En ce qui concerne le F.L.N. en tant que mouvement politique, il s'est engagé à militer pour l'indépendance dans la coopération avec la France ; ce sont les premiers propos, d'ailleurs, qu'a tenus M. Ben Khedda dans ses déclarations qui ont fait tant de bruit, mais je ne m'attarde pas sur cet aspect des choses. "

C'est en parfaite concordance avec cette position que le Gouvernement français a considéré la reconnaissance de jure du G.P.R.A. par le Gouvernement soviétique, le jour même de la signature des accords d'Evian, comme une " grave incorrection à notre égard " et qu'il a, en conséquence, décidé le rappel de notre ambassadeur.
Cette décision peut surprendre politiquement lorsqu'on se souvient que la reconnaissance de facto du G.P.R.A. par le même gouvernement soviétique accordée le 7 octobre 1960, à une époque où aucun pourparler n'était en vue, n'avait suscité aucune réaction officielle française
(cf. AjF.D.L, 1960, p. 1067) ; elle n'en est pas moins conforme à une certaine logique juridique puisque les accords d'Evian, loin d'impliquer la reconnaissance par la France du G.P.R.A., impliquent la reconnaissance par le G.P.R.A. de la souveraineté française en Algérie jusqu'à l'autodétermination.
Mais quelle est alors la valeur d'accords conclus avec de tels interlocuteurs ?

2) L'Algérie est liée par les accords d'Evian.

Puisque les signataires algériens des accords d'Evian ne sont que les représentants d'un parti politique et des combattants, ils ne peuvent engager un futur Gouvernement algérien : ils n'engagent qu'eux mêmes, d'une part à respecter le cessez-le-feu, d'autre part, à faire campagne en vue du référendum pour la coopération franco-algérienne telle qu'elle est définie par les accords d'Evian. C'est en approuvant, par le référendum, les accords d'Evian, que l'Algérie toute entière s'engagera à les respecter.

Telle est la doctrine française officielle, apparaissant dans de multiples déclarations :
... du ministre des affaires algériennes
{J.O., Sén., 22 mars 1962, p. 112) :
" Pour l'Algérie, c'est le référendum, qui constituera la ratification par le peuple des textes d'où sortiront des lois organiques de l'Etat et s'imposeront à lui, les textes officiels le stipulent : " Dès la proclamation des résultats officiels " de l'autodétermination, si l'indépendance est votée, les déclarations de garantie et de coopération entreront immédiatement en vigueur ". Qui dit cela ?
C'est le F.L.N. dans la déclaration qu'il a signée et qu'il a d'ailleurs rendue publique avant la nôtre. "

... du même, à l'Assemblée nationale (J.O., A.N., 22 mars 1962, p. 520) : " Je veux d'abord répondre à la préoccupation qu'à bien voulu exprimer M. Maurice Faure, Vous avez pu lire, au Journal Officiel, le texte des décrets qui sont pris par le Gouvernement de la République et qui vont préparer l'autodétermination et la période qui s'étendra entre le cessez-le-feu acquis et le scrutin de demain. Cela, c'est notre tâche. Il y a d'autre part, une série de déclarations qui forment les conclusions du travail accompli à Evian. M. Maurice Faure me demande jusqu'à quel point le F.L.N. est engagé. Je me permets de le renvoyer à cette partie des accords où est traitée précisément cette question. Les accords soumis aux populations d'Algérie n'engageront pas le Gouvernement de l'Algérie, ils engageront l'Algérie elle-même et, comme il est précisé dans le texte que j'ai l'honneur de vous présenter ici, ils s'imposeront à l'Etat algérien. "

M. Alain de Lacoste-Lareymondie "Comment s'imposeront-ils?"
M. le ministre d'Etat chargé des affaires algériennes : " Par le fait qu'ils " auront été adoptés par les populations algériennes. " " Ils entreront en vigueur ", dit encore le texte, " dès l'annonce officielle des résultats de l'autodétermination ".
" Et qui écrit cela, sinon le F.L.N. ? ".

... du même, dans une allocution radiotélévisée le 23 mars 1962 (voirA.D., 1223).

... du même, en réponse à une question écrite de M. Vinciguerra, n° 15364, J.O., A.N., 6 juin 1962, p. 1490 : " II n'y a qu'un accord d'Evian en vigueur, c'est l'accord de cessez-le-feu conclu le 18 mars 1962 avec les forces combattantes du F.L.N. II y a donc "violation des accords " lorsque des éléments relevant du F.L.N. enfreignent une disposition de l'accord de cessez-le-feu soit qu'un isolé se rende coupable de violence, soit qu'une troupe se déplace sous les armes. Le Gouvernement n'a jamais dissimulé les difficultés qui pouvaient exister dans ce domaine. Les commissions de cessez-le-feu en sont régulièrement saisies. Elles font l'objet d'un examen constant et d'un travail en commun avec l'Exécutif provisoire. On ne saurait, en revanche, parler des " difficultés rencontrées pour l'exécution des " déclarations d'Evian à Alger et Oran ", pour la simple raison que les déclarations du 19 mars 1962 ne sont pas exécutoires : l'honorable parlementaire n'ignore pas que ces textes n'entreront en vigueur que si les populations algériennes les approuvent lors du scrutin d'autodétermination. " Si la solution d'indépendance et de coopération est adoptée, le contenu des présentes déclarations s'imposera à l'Etat algérien" (déclaration générale)."

... du ministre des affaires étrangères (déclaration à la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, rapportée dans Le Monde, 30 mars 1962) :
" M. Couve de Murville a, d'autre part, confirmé que seul l'accord sur le cessez-le-feu avait une valeur internationale. Les autres textes ne sont que des déclarations unilatérales. Cependant, ces déclarations devraient prendre, estime-t-on du côté français, la valeur de lois fondamentales du fait de leur approbation, au référendum de l'autodétermination. "

... du premier ministre (J.O., A.N., 28 avril 1962, p. 824) : " II a beaucoup été question également des garanties données aux Français d'Algérie et aux Musulmans par la déclaration générale des accords d'Evian. Je rappelle en tout cas que la déclaration générale et les déclarations ultérieures des membres du G.P.R.A. qui l'ont confirmée indiquent bien que le F.L.N. s'est engagé à faire campagne en faveur de l'indépendance dans la coopération lors du référendum par lequel les populations se prononceront. Le résultat de ce référendum, en vertu même des accords d'Evian, s'imposera au futur Etat algérien. "

... du Président de la République (allocution radiodiffusée du 8 juin 1962, A.D., n° 1254)http://www.ina.fr/histoire-et-conflits/decolonisation/video/CAF89051164/allocution-du-general-de-gaulle-du-08-06-1962.fr.html :
" Oui ! Dans vingt- trois jours, le peuple algérien, par le scrutin d'autodétermination, va ratifier les accords d'Evian, instituer l'indépendance et consacrer la coopération, tout comme le peuple français, par le référendum du 8 avril dernier, y a lui-même souscrit pour sa part. "
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1962_num_8_1_1014

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Mis en ligne le 26 janv 2011