I. — Bases militaires. Alors que les accords d'Evian cédaient à bail à la France, pour une période de 15 ans renouvelable, la base de Mers-el-Kébir, le Gouvernement français
a décidé de l'évacuer et de la remettre au gouvernement algérien. Dans sa
réponse à deux questions orales de MM. les Sénateurs Bruyneel et Bonnefous,
le Secrétaire d'Etat aux affaires étrangères s'attache à préciser le caractère unilatéral de cette mesure.
« Le Gouvernement a, en effet, décidé de réduire progressivement la base
de Mers-el-Kébir qui, de base stratégique aéro-navale, sera transformée en une
simple base aérienne.
S'il est exact que les accords d'Evian ont concédé à la France l'utilisation
de cette base pour une période de quinze ans à compter de l'autodétermination,
ceux-ci laissaient évidemment toute latitude à la France pour déterminer l'ampleur et les conditions mêmes de cette utilisation.
Les mesures d'allégement de notre dispositif à Mers-el-Kébir ne constituent
qu'une évacuation partielle de la base et sont la conséquence d'un remaniement
de notre dispositif militaire décidé pour des raisons stratégiques. Il n'est donc
pas exact de dire, comme l'a fait avec éloquence M. Bruyneel, que la France a
consenti la restitution de la base avant le terme prévu par les accords d'Evian.
Il s'agit en fait d'une décision du Gouvernement Français qui, en fonction de
considérations militaires, a décidé de remanier son dispositif en Méditerranée
et a, bien entendu, informé le Gouvernement algérien de sa décision en temps
utile ». (J.O. Sénat, 8 novembre 1967, p. 1073).
II s'efforce de la justifier par des considérations d'ordre stratégique, et,
répondant au sénateur Bonnefous qui avait invoqué les 300 000 NF par mois
payés par la France depuis l'indépendance algérienne en loyer de la base, il réplique :
« Je tiens à préciser que la France n'a versé, directement ou indirectement,
à l'Etat algérien, aucun loyer au titre de la base de Mers-el-Kébir. A fortiori,
ne peut-il être question d'un dédit, les dispositions essentiellement politiques
des accords d'Evian excluant toute analogie avec les conventions de droit privé ».
Sur le même sujet, on retiendra la réponse du ministre des affaires étrangères à Q.E. Peronnet, n° 5946 (J.O., A.N., 2 mars 1968, p. 604) en notant
le lien qu'elle tient à marquer entre cette restitution et le principe de succession aux biens publics visé par l'article 19 de la déclaration de principe relative
à la coopération économique et financière.
« 1. — Le Gouvernement a décidé de fermer la base navale de Mers-el-Kébir,
d'où ont été retirés les moyens navals et la plus grande partie des forces terrestres qui y étaient stationnées. Une présence militaire sera maintenue à l'aérodrome de Bou-Sfer. Cette décision est la conséquence d'un remaniement de
notre dispositif militaire en Méditerranée permettant de réaliser des économies
budgétaires.
« 2. — Les opérations d'évacuation de Mers-el-Kébir ont été effectuées dans
le cadre juridique des accords d'Evian, par application de la déclaration générale, de l'article 19 de la déclaration de principe relative à la coopération économique et financière et de la déclaration de principe relative aux questions militaires. Le général commandant supérieur de la base a été chargé de l'exécution
des décisions et habilité à en arrêter les modalités d'ordre technique ou pratique avec une délégation algérienne constituée à cet effet. La remise du domaine
public au Gouvernement algérien, qui en avait seulement concédé l'utilisation
au Gouvernement français, s'est effectuée en fonction du calendrier de rapatriement des personnels et des stocks de la marine arrêté par le commandement ».
(Voir aussi la réponse du même ministre à Q.E. Pleven, n° 4941, J.O.,
A.N., 15 décembre 1967, p. 5923).
II. — Succession d'Etats
Le principe de la succession de l'Algérie indépendante aux obligations
contractées en son nom avant l'indépendance (art. 18 de la Déclaration
d'Evian), la prise en charge de ses dettes par la France, à titre purement
bénévole, à la suite de sa défaillance, et l'exclusion des étrangers et des sociétés commerciales du bénéfice de cette mesure de caractère social ont été
réaffirmés en plusieurs matières.
1) Dommages corporels.
« L'article 18 de la déclaration de principes relative à la coopération économique et financière des accords d'Evian qui est, dans les rapports entre la France
et l'Algérie, l'application des règles du droit international relative à la succession d'Etats, permet de déterminer les dépenses à la charge de la France. En
vertu de ces principes, les dépenses effectuées avant l'indépendance par les services de la sûreté nationale en Algérie dont les compétences ont été transférées
à l'Etat algérien, ne sont pas à la charge de la France. En l'absence de toute
obligation lui incombant, le Gouvernement a cependant décidé de procéder au
règlement de certaines dépenses du secteur public en Algérie, antérieures à l'indépendance, qui sont à la charge de l'Etat algérien et dont celui-ci ne s'acquitte
pas, mais seuls les ressortissants français peuvent bénéficier de ces mesures qui
ont un caractère essentiellement gracieux. Les services du ministère des affaires
étrangères se trouvent donc privés actuellement du moyen de désintéresser les
ressortissants étrangers dans les affaires de l'espèce. Toutefois, ceux de ces
ressortissants, de nationalité algérienne, qui auraient été victimes de dommages
corporels en raison de leurs fonctions pendant les événements d'Algérie — ou
leurs ayants droit — vont incessamment bénéficier d'une allocation permanente
et définitive, analogue à la pension d'invalidité instituée par l'article 13 de la
loi de finances du 31 juillet 1963 en faveur des personnes de nationalité française victimes d'attentats ou autres actes de violence ».
On notera, au passage, la formule, quelque peu optimiste, selon laquelle
l'article 18 de la déclaration d'Evian est l'application des règles de droit international relatives à la succession d'Etats. (Réponse du ministre des affaires
étrangères à Q.E. Pic, n° 4275, J.O., A.N., 20 janvier 1968, p. 145. Voir aussi
la réponse du ministre des anciens combattants à Q.E. Palmero, n° 5053,
J.O., A.N., 9 mars 1968, p. 705).
2) Dommages matériels.
Devant le refus des autorités algériennes d'indemniser postérieurement au 1er janvier 1963 nos compatriotes qui ont subi des dommages matériels entre le 1er novembre 1954 et le 3 juillet 1962, le Gouvernement français a estimé devoir
intervenir pour atténuer les conséquences de cette interruption de l'indemnisation Il a ainsi confié à l'agence de défense des biens et intérêts des rapatriés, et à elle seule, le soin de procéder à l'examen et à la liquidation de ces dommages. Le caractère social de ces indemnisations résulte des deux mesures suivantes : en sont exclues les sociétés autres que les sociétés civiles à caractère familial ; le plafond individuel est fixé à 100 000 Fr ». (Réponse du ministre des
affaires étrangères à Q.E. Schmitt, n° 7171, J.O. Sénat, 17 mai 1968, p. 272). (Voir
aussi les réponses du même ministre à Q.E. Bayon, n° 4649, J.O., 20 janvier 1968,
p. 145, et Q.E. Ponseille, n° 5688, J.O., A.N., 2 mars 1968, p. 603).
3) Accidents du travail.
« Les accidents du travail survenus en Algérie avant le 1er juillet 1962 demeurent régis par les dispositions qui étaient applicables sur ce territoire. Les
majorations de rentes résultant des dispositions prises sur le territoire métropolitain postérieurement au 1er juillet 1962 n'étaient pas applicables aux rentes
dues à raison d'accidents du travail survenus en Algérie. Afin de remédier à
cette situation en ce qui concerne les Français rapatriés d'Algérie, l'article 7 de
la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 portant prise en charge et revalorisation
des droits et avantages sociaux consentis à des Français ayant résidé en Algérie,
a prévu l'attribution aux intéressés, par le fonds commun des accidents du travail
survenus dans la métropole d'une allocation, complétant les avantages reçus au
titre de la législation en vigueur en Algérie, dans la limite de ceux qui seraient dus sur la base de la législation métropolitaine. D'autre part, le fonds commun
métropolitain paie aux intéressés les majorations à la charge du fonds commun
algérien qui ne leur seraient pas servies par celui-ci. L'article 9 de la loi du 26
décembre 1964 précitée prévoit que des décrets fixeront notamment les conditions
selon lesquelles les dispositions de ladite loi seront applicables à des personnes qui n'étant pas de nationalité française, étaient domiciliées en Algérie, antérieurement à leur établissement en France et ont dû ou estimé devoir quitter l'Algérie par suite des événements politiques. En vertu de ces dispositions l'article 6
du décret du 2 septembre 1965 relatif à l'application de l'article 7 précité dispose :
« Les dispositions du présent décret sont applicables aux étrangers admis au
bénéfice d'une ou plusieurs prestations dans le cadre du décret n° 62-1049 du 4
septembre 1962 portant règlement d'administration publique pour l'application
à certains étrangers de la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961, relative à l'accueil
et à la réinstallation des Français d'Outre-Mer ». Il appartient à la personne
intéressée, si elle ne l'a déjà fait, de faire examiner sa situation au regard de ces
dernières dispositions par les services de la préfecture de sa résidence. Quant à la
question de l'application de la législation sur les rapatriés — et plus particulièrement de la loi du 26 décembre 1964 — aux réfugiés en tant que tels, il ressort
d'une étude juridique approfondie qu'une extension aussi générale des textes
sur les rapatriés n'a pas été jugée fondée : cette position concerne tous les réfugiés, qu'ils soient visés par les conventions internationales de Genève de 1933, de 1938 ou de 1951. »
(Réponse gu ministre des affairs sociales à Q.E Delpech n° 3068, J.O. AN 12 octobre 1967, p.3556 ; également, du même ministre à Q.E Arraut, 3736, J.O. AU., 30 décembre 1967, p. 6142).
A vrai dire, il s'agit moins ici de succession d'Etats proprement dite que
de substitution de législation, selon le mécanisme suivant applicable pour
l'Algérie, à l'exclusion des autres territoires sur lesquels la France a exercé
ses compétences.
Les conséquences des accidents du travail et des maladies professionnelles
résultant d'un activité exercée dans les pays autrefois placés sous la souveraineté,
la tutelle ou le protectorat français, notamment au Maroc, demeurent régies par
la législation qui était applicable sur chacun de ces territoires. Les rentes allouées
en vertu de ces réglementations, hormis le cas de l'Algérie, n'ont à aucun moment donné lieu, quelle que soit la résidence des bénéficiaires de ces rentes, à
l'application des dispositions prises en métropole pour la revalorisation des
rentes d'accidents du travail régies par la législation métropolitaine. La situation des titulaires de rentes à raison d'accidents du travail survenus en Algérie
avant le 1er juillet 1962 était à cet égard particulière. Ces rentes étaient revalorisées conformément aux dispositions de la législation française. C'est la raison
pour laquelle le législateur, tenant compte des droits acquis, a, par l'article 7 de
la loi du 26 décembre 1964, accordé aux intéressés un avantage correspondant aux
majorations intervenues en France après le 1er juillet 1962. Ces dispositions ne
sont pas applicables aux rentes dues à raison d'accidents résultant d'activités
exercées sur des territoires autres que l'Algérie ». (Réponse du ministre des
affaires sociales à Q.E. Ponseille, n° 5391, J.O. A.N., 6 janvier 1968, p. 19).
4) Dettes des établissements publics algériens.
« Aux termes des accords d'Evian (art. 18 de la déclaration de principe relative à la coopération économique et financière), l'Algérie assume les obligations
et bénéficie des droits contractés avant l'indépendance en son nom, ou en celui
des établissements publics algériens, par les autorités françaises; il en résulte que
le règlement des dettes de la caisse d'accession à la propriété et à l'exploitation
rurale (C.A.P.E.R.), établissement public algérien, devenu l'office national de la
réforme agraire, incombe aux autorités algériennes. Ce principe n'a pas été mis
en cause par la décision prise par le Gouvernement, en accord avec le Gouvernement d'Alger, de désintéresser pour le compte de l'Algérie nos compatriotes
détenant certaines créances sur les collectivités publiques ou les établissements
publics d'Algérie, pour des fournitures ou des prestations effectuées avant le 1er
janvier 1963. En ce qui concerne les établissements publics, et notamment la
C.A.P.E.R., les dispositions en vigueur ne sont pour le moment applicables qu'aux seules dépenses de fonctionnement. Toutefois, les services compétents étudient la
possibilité d'étendre leur bénéfice aux dépenses d'équipement, mais aucune déci
sion n'a encore été prise ». (Réponse du ministre des affaires étrangères à Q.E.
Sudreau, n° 5976, J.O. A.N., 2 mars 1968, p. 604. Dans le même sens, pour la dette
d'un hôpital, la réponse du ministre des affaires étrangères à QE. Senes, n° 3914,
J.O. A.N., 30 mars 1968, p. 919).
5) Emprunts publics.
La France a, ici encore, accepté d'assurer le service de certains emprunts,
pour le compte de l'Algérie ; cf. sur ce point A.F.D.I. 1967, p. 867, et réponse
du ministre de l'économie et des finances à Q.E. Henneguelle, n° 7321, J.O.
Sénat, 15 mai 1968, p. 260. Mais il n'en va pas ainsi dans tous les cas.
« Le remboursement des bons 5,75 % 1959 émis par la Compagnie immobilière
algérienne (C.I.A.) avec la garantie de l'Algérie et arrivés à échéance incombe
en premier lieu à la société émettrice. Les événements survenus en Algérie depuis
1962 n'ont pas permis à la Compagnie immobilière algérienne de respecter les
engagements qu'elle avait contractés. Reste alors la garantie de l'Algérie, qui
s'est trouvée transférée en droit par les accords d'Evian au nouvel Etat. Le
Gouvernement s'est efforcé à plusieurs reprises d'obtenir des autorités algériennes
la mise en oeuvre de cette garantie. Il n'a pas été possible, pour l'instant, de régler ce problème, qui continue de retenir toute l'attention du ministère des affaires étrangères ainsi que celle du ministère de l'économie et des finances. Dès qu'un
élément nouveau aura pu être dégagé il sera porté à la connaissance des porteurs
de bons ». (Réponse du ministre des affaires étrangères à Q.E. Alduy, n° 5298,
J.O. A.N., 20 janvier 1968, p. 147).
III. — Respect des biens privés.
Contre les mesures de dépossession, les protestations du gouvernement
restent vaines.
« Le Gouvernement n'a cessé de rappeler aux autorités algériennes les obligations qui leur incombent chaque fois que les décisions prises par elles ont des
incidences directes sur les intérêts des ressortissants français. En attendant que
nos démarches aboutissent — et elles posent évidemment des problèmes politiques et des problèmes financiers — des mesures partielles ont été prises dans
certains cas ». (Réponse du ministre des affaires étrangères à Q.E. Paîmero, n°
6304, J.O. A.N., 23 mars 1968, p. 845. Sur l'application de la circulaire interministérielle du11 septembre 1963 prévoyant le remboursement des déficits de gestion
subis par certaines entreprises industrielles et commerciales spoliées en Algérie
durant les années 1963 et 1964, voir la réponse du ministre des affaires étrangères
à Q.E. Poudevigne, n° 6495, J.O. A.N., 3 mai 1968, p. 1460).
IV. — Coopération.
1) Les accords de coopération signés ne sont pas toujours respectés.
« L'attention des autorités algériennes a été appelée de façon instante sur
l'obligation qui leur incombe de permettre aux retraités français de percevoir
sans retard par simple mandat, conformément aux stipulations de la convention
de sécurité sociale du 19 janvier 1965 et de l'arrangement administratif du même
jour qui en fixe les modalités d'application, les arrérages de pensions à la charge du régime algérien. L'assurance a été donnée récemment à notre ambassade
à Alger que les dispositions nécessaires étaient prises pour respecter cet engagement. La question continuera à être suivie avec la plus grande vigilance par le
Gouvernement ». (Réponse du ministre des affaires étrangères à Q.E. Ponseille,
n° 6387, J.O. A.N., 23 mars 1968, p. 845).
2. Paradoxalement il arrive que le gouvernement se retranche derrière
un accord de coopération pour repousser une majoration de rémunération des
coopérants.
« La question posée par l'honorable parlementaire comporte une réponse négative. En effet, la convention franco-algérienne de coopération technique et
culturelle signée le 8 avril 1966 se substitue au protocole du 24 septembre 1962
relatif à la situation des médecins et biologistes français servant dans les établissements publics d'hospitalisation ou dans les services de l'assistance médico-sociale d'Algérie. L'échange de lettres du 8 avril 1966 annexé à la convention en date
du même jour fixe le nouveau régime de rémunération des médecins, biologistes,
pharmaciens et dentistes servant en Algérie au titre de la coopération technique.
Ce nouveau régime défini par un accord international ne peut être modifié unilatéralement par le Gouvernement français ». (Réponse du ministre de l'économie
et des finances à Q.E. Paquet, n° 6384, J.O. A.N., 24 février 1968, p. 548).
Charpentier Jean - Pratique française de droit international. In: Annuaire français de droit international, volume 14, 1968. pp.879-917. EXTRAIT.
doi : 10.3406/afdi.1968.1526
Jean Charpentier, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques
de Grenoble, auteur de la Reconnaissance internationale -et l'évolution du droit des
gens, (Paris 1956) et de divers articles de droit international. Rédacteur de cette chro
nique depuis 1955.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1968_num_14_1_1526
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Mis en ligne le 05 août 2015
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