Le brillant négociateur français, sans rire, parle de succès. Curieuse façon de penser qui permet de transformer une déroute en rase campagne en victoire éclatante. Déjà la repentance était au programme et encore l'intransigeance algérienne triompha. Le grand visionnaire, du haut de ses 1m 93, une fois de plus, n'a rien vu. Sa politique de coopération était morte avant d'être née. Et nous continuons à payer l'addition... |
« Le Point » s’est plongé dans les Archives diplomatiques pour comprendre comment l’exception algérienne a été négociée cette année-là.
Il a été dit à peu près tout et n'importe quoi à propos des accords d'Alger du 27 décembre 1968, sans comprendre pourquoi ils ont été signés, sans mentionner non plus que ce sont ses avenants, notamment le dernier, en 2001, qui ont instauré des passe-droits – en particulier hospitaliers – à l'élite algérienne.
Pour comprendre l'origine de ces accords jamais étudiés en détail, une seule voie était possible : se plonger dans les Archives diplomatiques, qui ont gardé trace des négociations entre la France et l'Algérie. Documents passionnants, qui enregistrent les analyses et les réactions des protagonistes français.
Conditions sanitaires déplorables
Il faut d'abord expliquer pourquoi les deux pays estiment nécessaire, en 1968, de préparer un accord global sur la question de la main-d'oeuvre algérienne. Si les accords d'Évian, en 1962, ont maintenu la libre circulation des personnes de l'Algérie vers la France, c'était, de la part de Paris, pour permettre le rapatriement des pieds-noirs sans qu'il se transforme en un mouvement de panique qu'aurait déclenché l'instauration de barrières.
De Gaulle n'avait pas prévu que la situation en Algérie allait précipiter leur retour. En 1963, à la suite des lois de naturalisation de Ben Bella, les pieds-noirs sont quasiment tous rentrés, alors que les Algériens ont profité de cette liberté pour arriver en masse en France – plus de 50 000 rien qu'en 1962.
Le gouvernement réagit par les accords Nekkache-Grandval, en avril 1964, qui tentent de réguler cette immigration en la conditionnant à un certificat de logement et à une sélection de l'Office national algérien de la main-d'oeuvre. L'effet est relatif : 38 000 Algériens entrent encore en 1964 – ils sont plus de 400 000 en tout – dans des conditions de logement et sanitaires souvent déplorables. Ils forment déjà une bonne partie – 60 000 – des 200 000 chômeurs en France.
Du côté d'Alger, ces accords sont mal acceptés par Houari Boumediene, qui, pour bâtir le nouvel État algérien, a besoin d'une main-d'oeuvre en Algérie, mais aussi en France, d'où les travailleurs émigrés envoient des subsides. La démographie très forte lui permet de jouer sur les deux tableaux. Problèmes de logement
Pour de Gaulle, l'Algérie est un enjeu. Il entend en faire sa porte d'entrée pour une grande politique de coopération. Mais Boumediene, engagé dans un communisme d'État soutenu par Moscou, réagit en 1967 en nationalisant de nombreuses sociétés françaises – hors hydrocarbures. Les principaux négociateurs
Celui-ci, qui a évoqué le sujet avec Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, souligne la spécificité de la situation algérienne par rapport aux autres pays d'Afrique et déplore le laisser-faire d'Alger sur son émigration : « Ils se seraient engagés de leur côté à contrôler le départ des touristes, ce qu'ils n'ont jamais fait sérieusement. »
En France, les ministères pondent des rapports qui produisent des sons de cloche différents. Le ministère des Affaires sociales, plus restrictif – il doit gérer les problèmes de logement et sanitaires –, exige un contingent de 11 000 travailleurs par an, soit le chiffre des travailleurs yougoslaves et marocains, inférieur à ceux des Espagnols et des Portugais. « Répondre aux réelles possibilités d'emploi »
Le 1er mai 1968, un conseil des Affaires étrangères, réunissant de Gaulle, Pompidou et les principaux ministres, dont certains s'offusquent des exigences algériennes, est consacré aux relations entre les deux pays : en plus de la question sur les vins, les hydrocarbures, les dettes algériennes, un alinéa est consacré aux travailleurs algériens : « Il s'agit de faire en sorte que l'immigration algérienne réponde aux réelles possibilités d'emploi. » Kaid Ahmed, à l'époque homme fort du FLN, met alors la pression sur les Français dans la presse algérienne, citée par le Quai d'Orsay : « Ni les émigrés ni le peuple algérien ne sont responsables d'une situation qui procède d'un processus historique : la colonisation. »
Les négociations vont durer quatre jours, menées du côté français par Gilbert de Chambrun, directeur des conventions administratives et des affaires consulaires du Quai d'Orsay, ancien résistant aux convictions progressistes, proche des communistes. Du côté algérien, Djamel Houhou, directeur des affaires françaises, est à la manoeuvre.
« Un ami », précise Hessel dans ses Mémoires, au tempérament de feu et de glace, « mais notre amitié n'allait pas jusqu'à le faire démordre d'exigences auxquelles je ne pouvais pas répondre et nous eûmes de nombreuses confrontations ». Mais comme souvent en Algérie, ceux qui détiennent le pouvoir sont ailleurs.
L'enjeu du certificat de résidence
L'homme clé est Redha Malek, ambassadeur à Paris, ex-porte-parole de la délégation algérienne à Évian, qui est allé voir Boumediene à Tizi Ouzou, ce qui a débloqué le dialogue. « Chambrun a exposé les intentions du gouvernement en ce qui concerne l'institution d'un certificat de résidence et ses modalités », résume Hessel. Ce certificat, seul moyen pour la France d'encadrer l'immigration algérienne, va être le principal enjeu des négociations.
En retour, il préconise de soumettre l'accord à une autre question qui empoisonne les relations : la reconnaissance de l'Amicale des Algériens en France, organisme que le FLN à Alger veut contrôler pour avoir la main sur les émigrés. « Nous faisons preuve d'un extrême libéralisme », note Hessel, qui conseille de mettre le marché en main aux Algériens : si vous acceptez le principe du certificat de résidence, nous reconnaîtrons l'Amicale. « Il ne restait plus aux Algériens qu'à monnayer au plus haut prix leur assentiment », conclut Hessel. Fin des mesures vexatoires
Dans l'article 2 des accords, il est bien question du certificat de résidence, délivré après une période de neuf mois si l'immigré a trouvé un emploi. Il vaut pour cinq ans, subordonné à la production d'une attestation de logement délivrée par les autorités françaises et d'un certificat médical. François-Guillaume Lorrain - Publié le 21/04/2025 à 10h30 |
Retour au menu "Accords d'Evian"
Mis en ligne le 24 mai 2025